Professeur Chafik Chraïbi: «Il y a de la réticence envers l’éducation sexuelle dans les écoles»

Chafik Chraïbi, gynécologue et obstétricien, président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC).

EntretienDans cet entretien avec Le360, le gynécologue et obstétricien Chafik Chraïbi, également président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), fait le bilan de la campagne de la contraception d’urgence et révèle le long et ardu chemin qui reste à parcourir en matière d’éducation sexuelle.

Le 15/04/2024 à 14h33

La contraception d’urgence est l’un des combats que mène le médecin et militant Chafik Chraïbi. En tant que président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), il mène une campagne contre les grossesses non désirées, en faisant la promotion de la pilule du lendemain et en sensibilisant à l’éducation sexuelle.

L’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC) que vous présidez, mène une campagne pour la contraception d’urgence. Quel est son objectif?

Au sein de l’association, nous militons pour la légalisation de l’avortement, mais pas seulement. Nous travaillons sur le volet juridique pour que la loi change en matière d’avortement, mais également sur la prévention des grossesses non désirées. Notre intérêt, ce n’est pas uniquement la légalisation de l’avortement, mais d’abord la santé de la femme. Nous ne voulons pas que des grossesses non désirées aient lieu, et nous ne voulons pas qu’il y ait d’avortement non plus. C’est pour cette raison que, chaque année, nous menons une campagne pour la prévention des grossesses non désirées.

«Nous avons contacté le ministère de l’Éducation nationale pour essayer d’intégrer l’éducation sexuelle dans les programmes, mais nous avons du mal à le convaincre.»

—  Chafik Chraïbi, gynécologue et obstétricien, président de l'AMLAC.

Cette sensibilisation se fait-elle en collaboration avec les associations ou en partenariat avec les médecins?

Nous nous attaquons à plusieurs volets. Il y a effectivement certaines associations qui nous reçoivent et qui invitent leurs membres ou leurs adhérents, et pour le compte desquelles nous organisons des conférences pour parler de la contraception et surtout de la pilule du lendemain, un moyen contraceptif sur lequel je souhaite insister. Nous démarchons également des lycées pour sensibiliser les élèves, mais, malheureusement, très peu d’établissements acceptent. Nous avons aussi contacté le ministère de l’Éducation nationale pour essayer d’intégrer l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires, mais nous avons du mal à le convaincre. Il y a de la réticence à ce propos.

Vous avez parlé d’éducation sexuelle, mais il y a un volet qui concerne aussi la prise de conscience et la responsabilité des parents…

Effectivement, nous travaillons aussi au niveau des centres de planning familial. Nous essayons de sensibiliser à large échelle à l’éducation sexuelle, dans les écoles et auprès des familles. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir la contraception, mais également de promouvoir l’éducation sexuelle. Notre objectif est aussi d’expliquer aux jeunes qu’ils ne doivent pas avoir de rapports sexuels non protégés.

Il y a un an, vous aviez dit regretter que la pilule du lendemain soit peu connue du grand public, ou qu’elle soit mal utilisée. Qu’en est-il aujourd’hui?

Tout à fait. Nous essayons d’effectuer régulièrement une piqûre de rappel. La pilule du lendemain est une vraie bouée de sauvetage, préconisée dans plusieurs situations à risque. À titre d’exemple, quand lors d’un rapport sexuel, le préservatif se déchire, ou lorsqu’une personne sous pilule contraceptive se rend compte, après un rapport occasionnel, qu’elle a oublié d’en prendre depuis deux ou trois jours… Ce sont des imprévus qui risquent d’entraîner une grossesse non désirée.

Quels sont les résultats de cette campagne pour la contraception d’urgence?

Au fil des ans, l’impact de cette campagne est de plus en plus positif. J’ai dirigé une cinquantaine de formations en faveur de médecins généralistes, de pharmaciens et d’aides en pharmacie dans plusieurs villes du Maroc. Le but est de faire connaître la méthode de contraception d’urgence afin de la proposer aux gens, car souvent, elle n’est pas prescrite sur ordonnance et les gens vont directement en pharmacie pour l’acheter. Le pharmacien ou son aide doit donc être parfaitement renseigné sur cette méthode contraceptive, ses principales indications et ses effets secondaires. La contraception d’urgence commence certes à être de plus en plus connue, mais elle ne l’est toujours pas assez.

«Il est important de préciser que la pilule du lendemain est une méthode contraceptive à utiliser de manière exceptionnelle. C’est une bouée de sauvetage.»

—  Chafik Chraïbi, gynécologue et obstétricien, président de l'AMLAC.

Je tiens de nouveau à préciser que cette pilule n’est pas abortive. Son effet consiste tout simplement à arrêter instantanément l’ovulation, afin d’éviter une grossesse. Il existe deux types de pilules du lendemain: une première qui peut être prise jusqu’à trois jours après un rapport à risque, et la deuxième qui peut l’être jusqu’à cinq jours. Mais dans les deux cas, plus tôt elle est la prise, plus cette pilule sera efficace. Si la femme n’a pas encore ovulé, son taux d’efficacité sera de 99,2%. Mais prise deux jours plus tard, son efficacité peut baisser jusqu’à 68% ou 66%.

Il est important de préciser que cette pilule est une méthode à utiliser de manière exceptionnelle. Il ne faut donc pas la répéter à plusieurs reprises, car cela pourrait s’avérer dangereux. C’est une pilule qui est fortement dosée en hormones et on ne peut pas se permettre de la prendre de façon répétitive. Les pharmaciens doivent le savoir et le dire à leurs patients. Il y a aussi de très rares contre-indications: une femme qui a eu un cancer du sein ou qui a eu une maladie thromboembolique ne doit pas prendre cette pilule.

La légalisation de l’avortement est l’un de vos chevaux de bataille. Où en est la proposition de loi aujourd’hui?

Comme vous le savez, la commission qui s’était occupée de ce travail avait souhaité que l’avortement puisse être préconisé dans les cas de viol, d’inceste, de malformation fœtale ou de handicap mental. Le texte avait été adopté par le Conseil du gouvernement en mai 2016, et la proposition est arrivée ensuite au Parlement. Depuis, il ne s’est plus rien passé. Nous avons tenu des sit-in, écrit au Chef du gouvernement, Saad Dine El Othmani à l’époque… Nous avons appris plus tard que le texte a été discuté dans le cadre de la réforme du Code pénal, mais qu’il n’a pas eu l’exclusivité des débats.

J’avais déclaré lors d’une intervention sur la chaîne d’information France 24 qu’il y avait eu un blocage du texte par le PJD. Saad Dine El Othmani m’avait appelé pour le démentir et m’avait expliqué qu’au Parlement, ils avaient appliqué la règle du tout ou rien. Soit ils faisaient passer tous les articles du projet de Code pénal, soit ils n’en passaient aucun. Et comme ce n’est apparemment pas une priorité, nous devons attendre. Nous espérons tout de même qu’avec le nouveau gouvernement, qui a déjà deux ans de vie, le dossier de la réforme du Code pénal sera réouvert immédiatement après la réforme de la Moudawana.

Par Qods Chabâa
Le 15/04/2024 à 14h33