La révision du Code de la famille, ou Moudawana, constitue une étape majeure dans l’évolution des droits des femmes au Maroc. Les réformes proposées, présentées le 24 décembre au siège de l’Académie du Royaume du Maroc, visent à moderniser ce texte en l’adaptant aux évolutions sociales et en répondant aux attentes de la société civile. Toutefois, malgré des avancées indéniables, certaines dispositions continuent de susciter critiques et insatisfaction, principalement au sein des organisations féminines et des associations de défense des droits de l’enfant.
Globalement, les réformes proposées sont perçues comme positives, notamment en ce qui concerne la protection des femmes et des enfants. Plusieurs militantes associatives se félicitent ainsi de la reconnaissance des droits des femmes dans des domaines cruciaux. Parmi les changements les plus salués figure la mise en place de la tutelle légale conjointe, garantissant à la femme une égalité accrue dans les décisions relatives à la vie de l’enfant.
De plus, la garde des enfants reste attribuée à la mère, même après son remariage, assurant ainsi une stabilité pour les enfants. La reconnaissance du travail domestique des femmes comme une contribution réelle à l’enrichissement du foyer est également une avancée marquante. Des propositions touchant la protection des mineurs, comme la fixation de l’âge légal du mariage à 18 ans, sont également saluées, bien que certains estiment que les exceptions demeurent trop nombreuses.
Bouchra Abdou, présidente de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC):
«Les dispositions de la Moudawana dans sa nouvelle version sont très positives. La majorité des propositions validées, et qui seront soumises au vote des deux Chambres du parlement, visent à garantir une stabilité dans la vie des femmes marocaines. Parmi les dispositions que nous saluons: la tutelle légale dont bénéficiera la femme, la garde de l’enfant qui restera confiée à la mère même en cas de remariage, la reconnaissance du travail de la femme comme une véritable contribution financière au sein du foyer, la clarification que le foyer conjugal ne fait plus partie de l’héritage, le don du père de famille à ses filles, ainsi que la mise en place d’une médiation mieux organisée en cas de demande de divorce.
Cependant, nous regrettons que l’article autorisant le mariage des mineures n’ait pas été supprimé dans sa totalité. L’âge minimum de mariage des filles a été fixé à 18 ans, avec des exceptions. Nous aurions souhaité que ces exceptions ne soient pas permises. Le défi aujourd’hui est que le projet de Code de la famille, tel qu’il sera rédigé, respecte pleinement les dispositions de la constitution, afin d’éviter toute incohérence ou contradiction entre les différents articles.»
Khadija Rougani, membre fondatrice de l’alliance «Printemps de la dignité»:
«Nous félicitons cette initiative qui reflète une volonté royale de promouvoir les droits des femmes. Cependant, je ressens personnellement une certaine déception. Cela concerne notamment des recommandations et propositions qui semblent tranchées, comme celle relative au taasib, c’est-à-dire le droit pour l’oncle ou le cousin du père de famille, même s’il est éloigné et n’a aucun lien direct avec les héritières, de revendiquer une part de l’héritage. C’est une situation véritablement absurde.
D’autre part, je suis déçue par la possibilité d’obtenir un divorce à l’amiable ou par consentement mutuel auprès de l’adoul. Cela ne renforce pas les rôles des tribunaux et du pouvoir judiciaire. Auparavant, la justice vérifiait l’accord entre les époux: ils rédigeaient un document, le légalisaient auprès des autorités locales, et il était ensuite validé par le tribunal, après concertation avec l’épouse. Mais avec l’adoul, nous ne savons pas quelles conditions seront appliquées, et la femme pourrait se retrouver dans une position de faiblesse.»
Aaatifa Timjerdine, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM):
«Nous traversons aujourd’hui une étape cruciale dans le processus de révision du Code de la famille. Au sein de l’ADFM, nous sommes satisfaites des recommandations et propositions validées par l’instance chargée de cette révision. Parmi celles-ci, l’exclusion du domicile conjugal de l’héritage, la reconnaissance du travail ménager, la garde de l’enfant après remariage de la mère et la mise en place de la tutelle légale conjointe.
Cependant, nous avons quelques réserves. Cette réforme comporte de nombreuses exceptions et laisse un pouvoir discrétionnaire trop large au juge. Par exemple, concernant la polygamie, il est difficile de comprendre pourquoi une femme, dans le cadre d’un mariage, pourrait imposer à l’homme de ne pas se remarier. Cette possibilité, qui pourrait devenir une règle plutôt qu’une exception, contredit la vision de la famille marocaine. La polygamie reste rare, et autoriser cette mention dans l’acte de mariage semble en faire une norme.
Un autre point de discorde concerne le taassib. Le statut de la femme n’est pas égal à celui de l’homme. Les femmes sont en situation de minorité par rapport aux hommes, et l’héritage des femmes semble encore être traité comme si elles n’avaient pas de droits complets.
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Troisièmement, nous déplorons l’absence de recours aux tests ADN pour prouver la filiation. Nous croyons fermement aux progrès scientifiques et technologiques, et ces tests devraient être autorisés. C’est le cas pour d’autres situations, mais pas pour la reconnaissance de la paternité.
Enfin, l’interdiction de l’héritage entre musulmans et non-musulmans est regrettable. Dans un monde devenu un “village global”, les mariages mixtes sont de plus en plus fréquents, et il est inconcevable que les deux époux soient privés de leurs droits successoraux respectifs.
Sur un dernier point, nous désapprouvons la fixation de l’âge de mariage des mineurs entre 17 et 18 ans, avec des exceptions. Nous savons que l’âge moyen du mariage au Maroc est de 25 ans pour les femmes et de 33 ans pour les hommes. Réduire cet âge à 18 ans ne correspond pas à la réalité.»
Najat Anwar, Présidente de l’Association «Touche pas à mon enfant»:
«Concernant la révision du Code de la famille pour l’adapter aux évolutions sociétales, nous saluons les amendements visant à renforcer la protection des droits des mineurs et à préserver leurs intérêts supérieurs.
Nous nous réjouissons notamment de la fixation de l’âge légal du mariage à 18 ans révolus, considérée comme une avancée positive -tout en soulignant la nécessité de restreindre strictement les exceptions pour les filles de 17 ans. Il en est de même pour le maintien de la garde des enfants par la mère divorcée, même après son remariage, ce qui garantit leur stabilité et les protège contre l’errance. Idem pour la tutelle légale conjointe entre les époux, permettant à la mère de participer activement aux décisions concernant le mineur, renforçant ainsi la protection de l’enfant. Enfin, la reconnaissance du travail domestique de l’épouse comme une contribution au développement des biens acquis pendant le mariage rend justice à sa contribution réelle au sein du foyer.
Concernant l’héritage, nous espérons que le Conseil supérieur adoptera des interprétations qui tiennent compte des exigences contemporaines, s’inspirant des efforts d’interprétation du calife Omar ibn al-Khattab. Nous aurions aussi souhaité une réglementation concernant la situation des mères célibataires et de leurs enfants, afin de traiter efficacement cette problématique sociale.»