La Thalassémie est une maladie génétique. Le bébé est pâle et il respire mal. Il est né avec des globules rouges non fonctionnelles. Elles sont rejetées par l'organisme et elles s’accumulent dans la rate. Ce qui explique la taille du gros ventre des enfants atteints de cette maladie, du fait d’une splénomégalie (grosse rate).
Le corps veut compenser le déficit en ces éléments du sang. Il puise alors dans l’usine naturelle de fabrication, la moelle osseuse, et cela jusqu’à épuisement de tout le stock.
Les os plats du visage se déforment avec des bosses frontales, un hypertélorisme et un élargissement des os malaires. L’enfant décède à l’âge de huit ou dix ans.
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Avec une transfusion sanguine mensuelle et à vie, il peut atteindre la vingtaine.
Cet enfant est traité de monstre dans le village du fait de ces pommettes très saillantes, de son front très aplati, ses yeux écarquillés et ses oreilles décollées.
Les vieux du village le taxent d’être «habité par des djinns».
C'est un pestiféré. Personne ne l'approche. Il est rejeté par tous les autres enfants. Parfois même, on le lapide par des pierres.
Il n'ose plus se regarder dans une glace. Il est pâle. Et il s'essouffle au moindre petit effort. Vu le niveau d'instruction, très bas, voire nul, l'idée qu'il pouvait s'agir d'une forme d'anémie, n'a même pas effleuré l'esprit d'un membre de sa famille ou de sa Aachira (tribu).
Comment peut-on soupçonner que ces déformations des os du visage sont liées à un appel de sang pur ou plutôt de globules rouges saines et viables?
L’OMS, l’organisation mondiale de la santé, estime entre 3.000 et 4.000 les enfants qui souffrent de thalassémie au Maroc.
A peine 400 patients sont suivis régulièrement dans les services spécialisés des CHU du Maroc et dans les unités affiliées aux centres régionaux de transfusion sanguine à travers le Maroc.
La thalassémie, maladie génétique du sang, reste à ce jour, une pathologie sous-diagnostiquée.
L’un des médecins pionniers au Maroc dans le diagnostic et la prise en charge de la thalassémie, le Dr Mohamed Khattab, professeur d’hématologie et d’oncologie pédiatrique, parle de cette pathologie comme d’une maladie génétique, grave, coûteuse et contraignante. Ce n’est pas seulement une anémie sévère.
Certains parents, issus de zones rurales, croient même en une malédiction qui toucherait leur famille, alors que les antécédents familiaux sont les premiers facteurs de risque.
En effet, seuls les enfants nés de parents sains mais porteurs du gène de cette maladie peuvent développer les symptômes de la maladie, appelée «Thalassémie majeure».
Les premiers signes de la maladie se manifestent entre 6 et 12 mois après la naissance: une pâleur cutanée puis des anomalies du squelette, notamment l’apparition d’une bosse frontale.
Le seul traitement existant aujourd’hui, c’est la transfusion sanguine de l’enfant malade, une fois par mois et durant toute la vie.
Cependant, cet apport itératif du sang provoque également un surplus de fer à l’organisme, qui n’est pas éliminé par les voies naturelles. Il se dépose alors sur les organes nobles. Au fil du temps, la quantité de fer déposée sur le cœur, en fait une plaque dure et il s’arrête de battre. L’apport mensuel de sang, censé traiter l'enfant, finit par le terrasser. Il fallait donc trouver une solution pour se débarrasser du fer en excès.
Les chercheurs en pharmacie ont trouvé une molécule à laquelle se fixe le fer, pour être éliminé à la fin par les voies naturelles. C’est le chélateur du fer. Sauf qu'il a un coût élevé et il est très contraignant.
Jusqu’à la fin des années 90, il se trouvait uniquement sous forme injectable et il fallait placer une pompe sous la peau de l’enfant, qui avait besoin d’un générateur d'électricité, pour injecter à des heures régulières, le chélateur du fer. Ce dispositif était très coûteux, environ 5000 dirhams par mois et pendant toute la vie. La majorité des familles est incapable de supporter ces coûts exorbitants.
Depuis, vers le début des années 2000, la recherche médicale découvre un chélateur du fer par voie orale. Mais il reste très coûteux.
Le défi, aujourd’hui, comme c’est le cas dans des pays d’Europe, consiste à ne plus donner naissance à des enfants atteints de thalassémie. Et c’est là un défi accessible.
Il ne faut pas qu’un homme et une femme, qui ne sont certes pas atteints de thalassémie, mais, qui sont tous les deux porteurs du gène de la thalassémie, se marient.
Pour cela, ils doivent le savoir. Et scientifiquement, cela est possible et ne coûte pas cher. Avant tout mariage, faire un examen de sang, appelé électrophorèse de l’hémoglobine du sang. Le coût ne dépasse pas 200 dirhams. Il renseigne les futurs mariés, s’ils sont porteurs ou non tous les deux du gène de la maladie.
Deux situations s’offrent à eux s’ils sont porteurs du gène. Soit, ils se marient, mais en connaissance de cause. Car il y a une malchance sur quatre, que leur bébé soit atteint de thalassémie, avec toutes les conséquences que cela comporte, sanitaires, familiales, économiques et sociales.
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Soit, ils sacrifient leur amour et ne se marient pas, épargnant de la sorte, une vie de malade à un nouveau-né qui n’aura rien demandé.
Dans des pays qui étaient à forte incidence en thalassémie, comme l’île de Chypre et en Italie, les citoyens sont porteurs dans leur portefeuille d’un carton rouge (porteur d’un gène de la thalassémie) et d’un carton vert (non-porteur du gène de la thalassémie). C’est ainsi, qu'aujourd'hui, leur population ne donne plus naissance à des enfants atteints par cette grave maladie.
Au Maroc, aujourd’hui, on continue à donner naissance à des enfants atteints de thalassémie qui vont souffrir et faire souffrir leur famille, pour finalement mourir à l’âge de 20 - 25 ans. Alors que c’est là une situation parfaitement évitable.
L’histoire récente du Maroc retiendra que ce n’est qu’en 2011 que le ministère de la Santé a mis en place un programme national de prise en charge des hémoglobinopathies telle la thalassémie, et ce, grâce au travail acharné et de lobbying d’une maman d’un enfant atteint de thalassémie, Mme Samira Yamani, qui a poussé le réseau des Rotary clubs du Maroc, en Italie, et au niveau international, à s'intéresser à cette pathologie lourde, mais évitable.
*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.