Comme tous les Casablancais, je prie pour la fin des travaux des nouvelles lignes de tram. J’espère que ma prière sera exaucée et que ce jour arrivera. Et comme pour tous ces événements lointains, que l’on n’attend presque plus, je conclus: Inchallah!
Il faut dire que ce chantier interminable, qui s’allonge et se démultiplie, commence à prendre une dimension métaphorique. Comme un éternel recommencement, un recyclage, de mue en mue.
Personnellement, j’adore le chaos créé par ce capharnaüm urbain en mutation. Il m’effraie, bien sûr, mais je finis par m’adapter, je m’habitue au «spectacle», au vacarme et au désordre. J’aime ce provisoire qui dure et s’installe. J’aime surtout voir comment la nature arrive toujours à nous surprendre, quand elle s’amuse à recomposer ces décors abandonnés, ajoutant de nouveaux personnages, de nouvelles couleurs, senteurs, etc.
Prenez la ligne qui longe l’avenue Ouled Ziane, l’une des plus denses de la ville blanche. La voie ferrée est prête, creusée et dallée depuis des mois. Mais comme elle ne sert à rien, elle attend.
J’ai longé cette avenue de nuit, peu après le f’tour. Le noir est presque total, à peine perturbé par les phares des camions sur le point d’emprunter une bretelle d’autoroute.
Sur plusieurs kilomètres de quai, le long de la voie ferrée qui coupe la chaussée en deux, on voit apparaître d’énormes sacs-poubelle, ensuite des draps fixés à des bâtonnets ou des barres de fer, des mini-tentes proches du sol, des cageots de fruits et légumes transformées en chaises, des cartons, beaucoup de cartons, quelques animaux de compagnie. Et des silhouettes humaines allant ici et là, devisant et vaquant à leurs occupations, sans quitter les quais.
De temps en temps, quelqu’un traverse la route, dans un sens ou l’autre, avec des bidons d’eau à la main.
Oui, nous sommes devant un squat à ciel ouvert, sans barrières et sans murs, improvisé le long de cette voie qui attend l’inauguration du tram. Ils vivent en communauté, en petites grappes rassemblées autour d’un feu ou d’une table basse, séparées par l’amoncellement de quelques affaires personnelles et de bric-à-brac qui servent de frontières provisoires, mouvantes.
Certains sont debout, les autres assis ou allongés sur un matelas ou un drap plié en deux, adossés à des sacs en plastique. Dans quelques minutes, il y en aura qui se tourneront en direction de la Mecque pour faire leur prière du soir…
Combien sont-ils? Quelques centaines, sans doute. Des migrants. Qui ont élu domicile là, dans cet espace provisoire, ce long serpent de béton et de métal. Un squat provisoire pour des personnes qui attendent à leur tour.
Alors ils attendent… Un bateau ou une embarcation de fortune pour l’Europe? Une régularisation administrative pour s’installer définitivement au Maroc? Un possible retour au pays? Un déplacement vers un autre squat, dans un autre port marocain (Dakhla, Agadir, Tanger, etc.), pour se rapprocher davantage de l’Europe?
Dans quelques mois, ou quelques années, quand la voie sera enfin ouverte au passage du tram, peut-être que l’un de ces hommes en transit se glissera parmi les centaines ou les milliers de passagers qui emprunteront quotidiennement cette ligne, pour rejoindre leurs maisons ou leurs lieux de travail. Inchallah.