Les autorités ont bouclé les agresseurs grâce aux vidéos postées sur les réseaux sociaux. Mais ceux qui filmaient pouvaient intervenir pour arrêter cette agression.
Quand j’étais petite, les gens veillaient à la sécurité de leurs concitoyens. Mon père arrêtait sa voiture pour réprimander les dragueurs indélicats. Dans mon quartier, dès que quelqu’un m’approchait, des jeunes ou des adultes intervenaient. Nos parents étaient rassurés. Leurs filles étaient en sécurité dans l’espace public.
Pourquoi les passants sont-ils devenus si indifférents?
Le smartphone. Je filme au lieu de porter secours, car je serai valorisée en publiant, sur les réseaux sociaux, un scoop qui augmentera le nombre de vues. Je ferai le buzz, pour mon prestige et pour gagner de l’argent sur le malheur des autres!
Perte des valeurs du vivre ensemble: solidarité, entraide, charité, car secourir une personne est une bonne action. De l’empathie en pensant que ça peut arriver à ma fille, ma sœur…
J’entends souvent dire: «Dkhoul souk rassèque! Ne t’en mêle pas». Les gens ont peur d’être violentés par des agresseurs sous l’effet de stupéfiants, qui peuvent porter une arme blanche. Parfois c’est de l’indifférence, de la lâcheté.
Les passants n’interviennent pas, car la drague est si courante qu’elle devient banale, une fatalité: les hommes sont comme ça, des prédateurs. La drague en arabe dialectal se dit syada (chasse, pêche). Toute femme est une proie potentielle.
La drague fait partie du jeu de séduction. C’est un outil de communication, mais la courtoisie doit être respectée. Si la femme refuse, l’homme doit arrêter, sinon, c’est du harcèlement. La drague devient alors un moyen d’exprimer ses frustrations sexuelles et de faire valoir la domination de l’homme sur la femme.
L’homme serait victime de ces femmes aguicheuses, aux tenues légères, qui le provoquent. Mais même les femmes voilées, qui portent les burqas noires, se font draguer. Avec des formules «adaptées»: «Que Dieu me donne une femme comme toi, qui me réveille pour la prière de l’aube», «Que Dieu me donne un pèlerinage à la Mecque avec toi», «Mayalbasse lak-hale ghir li kalbou byad, (ne porte le noir que celui au bon cœur)»…
La drague valorise la virilité, sublimée par notre culture. Elle s’exprime par des compliments: «Azzine, manchoufoukch? (Beauté, on te contemple?)».
Elle devient agressive lorsque le dragueur persécute la proie, à pied ou en voiture. Refoulé, il devient violent. Les compliments se transforment en obscénités, voire en agressions physiques. Pincer les seins et glisser une main entre les fesses sont des pratiques courantes. Dans la foule, les hakkaka, les «frotteurs», s’en donnent à cœur joie.
La drague est un loisir, même pour de jeunes garçons, juste pour s’amuser. Les femmes âgées sont harcelées par des hommes jeunes, pour le plaisir, ou à la recherche de mouimates (femmes âgées), souvent pour des aventures rentables. Prostitution masculine?!
«Les parents doivent éduquer leurs garçons au respect des femmes et des lois qui les protègent. Le ministère de l’Éducation doit promouvoir la culture du respect des femmes dans les manuels scolaires»
Jadis, les femmes ne sortaient pas, sauf celles de mauvaises mœurs. Aujourd’hui, elles sortent pour exercer leurs responsabilités. Elles continuent à être considérées comme suspectes. La présence d’une femme dans la rue, la nuit, la met en danger et la fait assimiler à une prostituée.
Si la femme est accompagnée d’un adolescent ou d’un homme, le prédateur s’abstient. Seule, elle n’inspire ni respect ni peur. Les femmes sont embarrassées, ennuyées, agressées, effrayées, blessées, privées du droit de circuler dans l’espace public.
Depuis février 2018, ce harcèlement est puni d’une peine d’un à six mois d’emprisonnement ou d’une amende allant de 2.000 à 10.000 dirhams. Ce qui s’applique aussi aux propos à caractère sexuel tenus ou envoyés par SMS, par messages vocaux ou à travers des photos.
Souvent, il est impossible de demander l’aide de la police, car le harceleur s’en est déjà allé. Pendant l’agression, impossible d’appeler la police, car la victime risque de se faire tabasser ou de se faire voler son téléphone.
À Tanger, la pauvre femme a subi une violence morale et physique par des adolescents qui ignorent la loi, et qui ne respectent pas les femmes, car leur éducation ne le leur apprend pas. Les parents leur apprennent à dominer leurs sœurs, présentées comme un «danger» pour leur honneur. Ils placent leurs filles sous la tutelle de leur fils, même quand ces filles font vivre leur famille, alors que les fils chôment.
S’attaquer à une femme en jupe, c’est aussi tagh-yre almounkar, corriger le mal. Une influence de vidéos, dans les réseaux sociaux, qui poussent des jeunes crédules à se prendre pour des ambassadeurs de Dieu. Pour eux, la femme est un danger pour la piété du croyant à travers ses comportements immoraux, qu’il faut donc corriger.
Le Maroc a toujours été un pays de tolérance. L’Islam recommande le respect de la différence et setra: taire les écarts d’autrui pour les protéger de la chouha (scandale).
Les parents doivent éduquer leurs garçons au respect des femmes et des lois qui les protègent. Le ministère de l’Éducation doit promouvoir la culture du respect des femmes dans les programmes éducatifs et les manuels scolaires, et établir un programme avec les organismes des droits de l’Homme et des associations pour sensibiliser les élèves du primaire et du collège. Des vidéos doivent être mises à la disposition des enseignants et incluses dans le programme. Les enseignants doivent également être sensibilisés, car ils sont nombreux à alimenter ce manque de respect.
Enfin, les mosquées doivent s’impliquer dans l’éducation. Certains imams recommandent aux hommes de contrôler sévèrement leurs filles ou leurs soeurs, les frapper si besoin, pour rester de bons musulmans.
Enfin, une tendre pensée pour cette femme qui a subi un traumatisme similaire à celui d’un viol. Une barbarie inacceptable!