Une vie de chèvre

Karim Boukhari.

ChroniqueCalmons-nous, restons loin des polémiques. Et réfléchissons un peu à ces autres histoires vraies qui nous passent sous le nez. Et à ces vies de chèvre dont nous ignorons l’existence…

Le 07/09/2024 à 08h59

«The Goat life», parlons-en. C’est forcément un film que vous avez vu, ou dont quelqu’un a dû vous parler. À la limite, on ne parle pas de cinéma ici, mais de marketing. Comme avec un téléphone plus intelligent que les autres, ou n’importe quel gadget électronique, on vous en parle tellement que vous allez finir par l’essayer. Presque malgré vous.

Il faut dire aussi que le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Parce que l’histoire est terrible et qu’elle est estampillée «d’après une histoire vraie». Cela rajoute au choc des images.

Cette histoire a d’abord inspiré un livre, devenu best-seller, et aujourd’hui ce film bollywoodien, l’un des plus regardés sur les plateformes de streaming. Carton assuré. Et il y a de quoi.

Un jeune Indien décide de tout plaquer et de partir tenter sa chance en Arabie Saoudite. Il a un contrat de travail pour lequel il a sacrifié toutes ses économies. Cette situation de départ ne vous rappelle rien? Mais bien sûr que si…

La suite de l’histoire ne vous surprendra pas non plus. Arrivé sur place, le jeune rêveur se retrouve face à un «kafil» (tuteur) qui confisque son passeport et l’embarque, comme une bête de somme, vers une destination inconnue. Résultat: le jeune homme, qui était censé travailler pour une entreprise saoudienne, se retrouve à traire des chèvres au milieu du désert.

Voilà: cette situation extraordinaire porte un nom, évidemment. Esclavage moderne. Elle est puissante et universelle parce que même le public le plus averti, qui ne se laissera pas duper par les ficelles bollywoodiennes du scénario et les codes d’une réalisation impersonnelle, tout droit sortie d’un long spot publicitaire, même le cinéphile exigeant poussera un ouf de soulagement quand notre héros émergera vivant de son interminable traversée du désert.

Soulagé par le happy end, donc, mais traumatisé par la mention «d’après une histoire vraie». Toute la force du récit est là. Au-delà des poncifs. Ce qui reste, c’est cette horreur qui se saisit de vous à l’idée de savoir que de telles horreurs existent, et peut-être même au moment où ces lignes sont écrites. Et cette idée, évidemment insupportable, que des hommes traitent d’autres hommes comme des chèvres, et pire encore…

Le mérite du film est d’ailleurs là. Il ouvre les yeux du monde sur des pratiques moyenâgeuses. Chacun parmi nous a entendu parler de ces histoires, d’hommes et surtout de femmes prises au piège une fois arrivés dans leur pays d’accueil, privés de passeport et embarqués dans des histoires terribles…

Malgré son côté carte postale, qu’il doit aux codes du film bollywoodien, malgré ses longueurs, ses invraisemblances, son manichéisme, «The Goat life» fait mouche. À ce niveau d’horreur, les polémiques collées au film deviennent anecdotiques. Ce n’est pas cela qui compte.

Sa force, c’est la fameuse mention «d’après une histoire vraie». En plus, en dépeignant un personnage secondaire (celui du guide africain) comme un bon musulman, le film fait taire les polémistes qui pourraient crier à l’islamophobie…

Calmons-nous donc. Et réfléchissons un peu à ces autres histoires vraies qui nous passent sous le nez. Et à ces vies de chèvre dont nous ignorons l’existence…

Ni film militant ni praline cinéphilique. Mais un divertissement spectaculaire qui rappelle que certains êtres humains mènent encore une vie de chèvre. Au moins ça.

Par Karim Boukhari
Le 07/09/2024 à 08h59