Ce n’est pas de ma faute, rien n’est de ma faute

DR

ChroniqueCe n’est pas seulement parce qu’ils se réclament de Dieu que les islamistes ont gagné, de nouveau, la confiance des Marocains.

Le 15/10/2016 à 17h00

Beaucoup n’ont pas encore digéré le vote du 7 octobre. Ils ne l’ont pas digéré ou ne l’ont pas compris.

Ce n’est pas forcément le fort taux d’abstentionnisme qui a fait gagner les islamistes. Les abstentionnistes ne forment pas un corps uni : leurs voix se seraient éparpillées entre les différents partis en compétition. Dans un scrutin à deux tours, les abstentionnistes changent la donne. Ce n’est malheureusement pas le cas avec le scrutin à la marocaine, qui est un peu à plat et ne permet pas le regroupement des voix.

Il faut aussi rappeler que les islamistes ont gagné après avoir été, quand même, fortement combattus. Sans la campagne menée contre le PJD, ce parti aurait gagné les élections par K.O. Et on serait aujourd’hui, non pas devant une victoire islamiste, mais un raz-de-marée islamiste.

Comment expliquer, alors, ce succès dont les proportions sont beaucoup plus importantes que ce que nous disent les chiffres du 7 octobre.

L’idéologie n’explique pas tout. Il ne suffit pas de se réclamer de Dieu pour séduire les masses. Il en faut plus. Le populisme et la démagogie offrent des débuts d’explications. Mais des débuts seulement. La classe politique regorge de démagogues et de populistes que personne n’écoute.

Les islamistes gagnent aujourd’hui parce qu’ils sont portés par la figure de leur zaïm, qui est un extraordinaire homme de communication. Son image et son discours feraient pâlir d’envie tout homme de communication : ils sont parfaits pour l’époque que nous vivons !

Fermons les yeux et convoquons les grands noms de la politique marocaine, les morts et aussi les vivants. Les Bouabid, Ben Barka, Youssoufi, Boucetta, El Fassi, etc. Ces hommes étaient tous liés à un projet de société, à un combat, parfois à une doctrine. En plus de leurs talents d’orateurs, ils avaient un programme, une vision.

Mais toutes ces légendes avaient l’image d’être supérieurs, exceptionnels : ils séduisaient leurs congénères parce qu’ils incarnaient une classe sociale supérieure, un savoir supérieur, une expérience supérieure, une éducation supérieure. Des êtres venus d’ailleurs, presque parfaits (nous parlons ici d’image).

Rien de tout cela avec Benkirane. C’est un autre prototype. Il ne véhicule pas l’image de l’être supérieur mais de monsieur tout le monde, avec ses limites et avec son charme aussi : surtout pas un surdoué ni un homme au parcours exceptionnel, juste un Marocain moyen, « normal », baratineur et attachant même quand il ment, émotif, roublard, capable aussi de déraper, mais capable surtout et en permanence de comprendre les autres et de se faire comprendre d’eux.

Benkirane ne s’est pas appuyé sur Dieu pour gagner sa campagne. Son thème de campagne, qu’il a commencé bien avant le 7 octobre, était le suivant: si je n’ai pas réussi, c’est que l’on m’en a empêché. En gros, ce n’est pas moi mais les autres.

Le fameux Tahakkoum, c’est cela : rien n’est de ma faute, ce n’est pas moi mais les autres. Dans une campagne de com’, on peut appeler cela une accroche ou une signature. Cette accroche et cette signature sont gagnantes parce qu’elles correspondent au leitmotiv d’une très grande partie de notre société.

« Ce n’est pas de ma faute, rien n’est de ma faute » est la phrase favorite de beaucoup de Marocains d’aujourd’hui.

Dans le monde d’hier, Benkirane et ce qu’il représente, son image et son discours, n’auraient même pas séduit les membres de sa famille. Aujourd’hui, le produit Benkirane offre à un très grand public la possibilité de s’y identifier et de se projeter. Le timing est parfait.

Par Karim Boukhari
Le 15/10/2016 à 17h00