J'ai toujours été impressionné par ce phénomène de l’enfant roi. Impressionné et interloqué. On dit que la «prolifération» des enfants rois est un signe de modernité et de progrès social, c’est-à-dire de bonne santé. Mais cela porte aussi d’autres signes, bien plus complexes, que l’on va rapidement survoler…
Chaque fois que mon âme voyageuse me conduit loin de chez moi, avant de me «déverser» comme un fléau sur le continent européen, je reste bouche bée devant l’ampleur du phénomène. Surtout dans les cités paisibles, les quartiers riches. Je ne vois que des enfants rois qui occupent l'espace et prennent toute la place. Rien ou presque ne leur est interdit. Ils refont le monde qui ne semble plus appartenir qu'à eux, avec leurs cris, leurs moues boudeuses, leurs humeurs massacrantes, leurs petites têtes couronnées.
Ces gamins sont pourris gâtés mais polis, avec des manières d’adultes. Il faut le voir pour le croire. Ils se rebellent contre l’autorité de leurs parents, qui ne peuvent que constater les dégâts, mais se conforment à l’autorité de la société et à ses codes quasi-génétiques.
Ça dit non à son père, ça crée un boucan d’enfer, ça salit ses vêtements propres, mais ça n’oublie pas de jeter le kleenex dans la poubelle.
Ces sales gosses sont si charmants qu’ils sont capables de vous mordre le bras et, l’instant d’après, de s’excuser en vous souhaitant (avec l’aide de leurs dociles parents) une agréable fin de journée.
Dans les rues de Ljubljana, la douce capitale slovène au nom imprononçable, où on roule plus en vélo et en trottinette qu’en voiture, le nombre d’enfants rois au mètre carré doit être l’un des plus élevés au monde. Peut-être l’effet combiné entre la proximité de la nature qui affleure à tous les coins de la ville et l’aisance économique, ce cocktail pétaradant qui consacre l’émergence de l’individu et les droits de l’enfants.
Il faut voir ces petits rois trottiner comme des fous furieux, avec la tête qui dépasse à peine le guidon, piétinant le pied de maman ou papa comme pour essayer de les faire tomber.
Bien sûr, personne ne tombe jamais, les parents affichent ce sourire de circonstance 24h/24, et les enfants s’éclatent…
Tout cela est beau, magnifique, dépaysant, comme un été sans fin. Demandez aux médecins, ils vous diront qu’il vaut mieux avoir un enfant hyperactif (traduisez «insupportable») qu’un gamin docile, sage, taiseux.
Et puis stop. On arrête tout et on rembobine, s’il vous plaît. Parce que tout a une fin et elle est moins heureuse que dans les vieux films hollywoodiens.
A l’heure du retour au pays, à l’aéroport déjà, on sent le parfum du bled. Dans la file anarchique des voyageurs marocains, les enfants rois ont perdu de leur superbe. Les parents tentent de les canaliser, en vain, alors ils emploient la manière forte.
Gifles, insultes, gros mots. Plus tard, à bord de l’avion, les enfants rois pleurent de dépit. D’autres se taisent et rentrent dans leur coquille. Ils se ferment, s’écrasent. J’en ai surpris un qui, sans doute pour se venger, a attendu que sa pauvre mère ferme l’œil pour s’emparer du biberon de son jeune frère avant d’en balancer le contenu sur le sol. Personne ne l’a vu. J’étais tenté de lui faire un clin d’œil, mais mon regard n’a pas croisé le sien.
Bienvenue au pays, gamin.