Les Marocains aiment dire non. Surtout quand ils travaillent dans les métiers du service ou de ce qu’on appelle l’administration. Quand vous demandez quelque chose, on vous répond mécaniquement: Non. On vous dit non, sans vous écouter et sans vous regarder. C’est un non d’office, automatique, qui va de soi. Avant de terminer votre requête, vous voyez le Non se dessiner sur les lèvres de votre interlocuteur et sur tout son visage. Non, c’est non!
Pourtant, et malgré les apparences, ce «non» n’est jamais définitif. Parce qu’il y a toujours un «mais». On vous dit non et vous êtes censé comprendre: c’est non…à moins que…
Je vous raconte l’histoire d’un ami. Il voulait se remarier après son divorce. Pas de chance, les documents qu’il devait établir étaient éparpillés entre quatre villes du royaume: sa ville de naissance, sa ville de résidence, la ville où il avait divorcé et celle où il compte se marier. Avant de courir vers les quatre points cardinaux du royaume, «on» lui a conseillé de soudoyer, tout de suite, un agent d’autorité. Il a refusé. Il a dit non. C’était le début d’une galère sans fin.
A chaque étape, devant chaque fonctionnaire, il devait essuyer un «Non». Non, on ne peut pas vous délivrer le certificat de ci parce qu’il vous manque l’attestation de ça. Non, vous ne pouvez pas obtenir ça tant que vous n’avez pas ci, etc.
La procédure a fini par ressembler à une espèce de road-movie à travers le Maroc. Rien n’est centralisé. Rien n’est numérisé. Rien n’est organisé. Même l’information n’est pas uniformisée. Chaque ville, chaque administration, chaque responsable invente de nouvelles conditions, une nouvelle pièce à fournir.
Il faut aller partout et commencer, à chaque fois, par affronter le rituel des «Non» qui tombent d’office. Non, il vous manque une photo. Non, les dimensions de la photo ne sont pas les bonnes. Non, il vous faut l’original. Non, l’original est périmé. Non, vous ne vous êtes pas affranchi de la bonne quittance. Non, votre dossier a été égaré. Non, il y a une erreur sur le nom de votre grand-père. Non, vous n’avez pas mentionné ci ou ça, etc.
La course-poursuite derrière les documents administratifs s’est étalée sur plusieurs semaines. Elle a coûté beaucoup trop de temps, d’argent et d’énergie. Comme une quête du Graal, un objet impossible à acquérir, une chimère.
Un jour, enfin, le périple prit fin. Notre ami avait pu rassembler, une à une, toutes les pièces du dossier. Tout était prêt. Il ne manquait plus que la signature d’un dernier fonctionnaire, cette fameuse signature finale qui signifie le «Oui» tant et tant de fois repoussé.
Et puis non! Le fonctionnaire constate que le dossier pourtant complet n’est pas complet! La mention «divorcé» ne figure pas sur l’un des innombrables documents. «Regardez là, là, ils vous ont mis «rien à signaler» alors qu’ils auraient dû vous mettre «divorcé». Je ne peux pas vous signer cela, désolé», explique le fonctionnaire à notre ami, au bord de la crise de larmes.
Retour à la case départ. Tout est à refaire. Notre ami repasse devant le fameux agent qu’il avait refusé de soudoyer. Il lui glisse un billet de banque dans la poche. Le lendemain, le dossier était signé! Sans refaire le tour du Maroc, et sans essuyer le moindre «non»…
Je dédie cette anecdote à la jeune Asmaa El Arabi, auteur d’une vidéo absolument remarquable, ironiquement intitulée «La La land» sur l’art (marocain) de dire non. Rien à voir avec le film hollywoodien…