Les Marocains ont toujours soutenu la Palestine. Parfois sans le savoir. Je fais partie de cette dernière catégorie.
J’allais beaucoup au cinéma, surtout entre les années 1980. C’est là que j’ai compris, un peu par hasard, qu’une partie de l’argent que je payais pour découvrir les films de Clint Eastwood ou de Bruce Lee, était reversée à la cause palestinienne.
J’étais donc, des années durant, un soutien indéfectible pour la Palestine. Sans le savoir. Personne ne m’a dit. Personne ne m’a consulté avant de ponctionner une partie de mon argent de poche.
Ainsi présenté, le soutien à la Palestine était quelque chose d’abstrait. Je soutenais la Palestine comme je soutenais, par exemple, la construction de la mosquée Hassan II. Le droit que je payais pour recevoir un certificat de résidence ou une attestation de vie (oui, cela existe !) était reversé en partie au fonds qui alimentait la construction de la mosquée.
J’ai donc activement soutenu la construction de la mosquée Hassan II. Une partie de mon maigre argent de poche y passait. Mon soutien était urbi et orbi, total, direct et inconditionnel.
Je dirai même plus. Mon soutien était «aveugle», au sens premier du terme, puisque j’avais l’impression d’être dans le noir et quelqu’un me faisait régulièrement les poches.
Mon soutien à la Palestine a revêtu par la suite d’autres formes. A chaque nouvelle invasion israélienne, à chaque coup tordu, j’étais très en colère et je ne savais pas quoi faire. Alors j’écoutais les plus grands. Ils disaient que la survie et l’expansion d’Israël étaient le fait des Américains. Et qu’il fallait combattre les Américains.
Oui, mais comment? Eh bien en s’en prenant aux symboles et aux représentations que l’on pouvait se faire de l’Amérique et des Américains.
Je voyais les autres arrêter de lire la littérature américaine ou de regarder les films de studio américains. Cela m’était impossible. D’autres encore cassaient leurs collections de vinyls anglo-américains et les remplaçaient par les enregistrements clandestins de Cheikh Imam. Merci, ce n’était pas pour moi.
Alors j’exprimais mon anti-américanisme autrement: en m’interdisant de porter mes jeans cowboy & western, mes paires de Ray Ban, mes Nike et mes Reebok. Et en évitant de boire Pepsi ou Coca-Cola parce qu’on disait, déjà à l’époque, que c’était comme si on buvait le sang des Palestiniens.
C’était dur, vous pouvez me croire.
Mais l’antiaméricanisme ne durait que quelques jours, une semaine tout au plus. Comme une poussée d’acné. Après, je retournais à mes habitudes de consommation et de vie, et je remettais mon antiaméricanisme primaire au placard. Jusqu’à la prochaine crise.
J’ai bien sûr pris part à des marches, des sit-in, des tables rondes, des débats. Je me suis radicalisé de bien des manières. J’ai répété des slogans et j’ai insulté beaucoup de gens que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam: ils avaient le tort de porter la nationalité américaine ou israélienne!
J’ai même longtemps refusé de voir le moindre film israélien. De peur de l’aimer, tout simplement!
Et puis un jour, j’ai fini par comprendre qu’il était inutile, voire stupide, de se croire plus Palestinien que les Palestiniens. De défendre une cause juste par des attitudes injustes. De se comporter comme un homme qui ne sait pas réfléchir mais faire du bruit.
Je vais tenter une comparaison avec le football, si vous voulez bien. J’ai arrêté de me conduire comme le supporter basique qui, en voyant son équipe perdre ou encaisser un but, se met subitement à tout casser et à insulter les joueurs adverses, leurs mères, leurs religions, etc.
Et pourtant j’ai toujours mal à la Palestine, «Ma» Palestine!