Nous avons tous vu, il y a deux semaines, des images de Marocains, refusant le confinement et défilant dans les rues pour… prier. Oui, prier. Ces images sont choquantes, mais il s’agit de comprendre ce qui s’est passé.
Pourquoi ont-ils bravé les dangers et les interdits, mettant en danger leur santé et celle des autres, se mettant aussi hors-la-loi? Sont-ils inconscients?
On a parlé d’un éventuel mot d’ordre provenant de la jamaâ d’Al Adl Wal Ihsane. Ce n’est pas impossible, mais il va falloir le prouver. Que l’implication de la jamaâ soit avérée ou non, il était troublant en tout cas de voir tous ces manifestants «défiler» pratiquement au même moment dans plusieurs villes royaume.
Il faut beaucoup de courage, de discipline, et surtout de conviction, pour se lancer dans de telles «bravades».
C’est un geste évidemment politique. Mais nous allons, si vous voulez bien, mettre de côté ce volet politique parce qu’il n’est que la conséquence d’un autre volet, qui est religieux et presque culturel.
Quand on examine avec attention la longue histoire du Maroc avec les épidémies, on remarque tout de suite une constante.
Depuis le Moyen Age, et jusqu’à l’époque du Protectorat, les appels au confinement et à la mise en quarantaine ont toujours affronté de grandes résistances.
L’autorité politique, le sultan ou calife, le caïd, parfois le chef de tribu, toutes ces voix qui portent pouvaient dire une chose, il se trouvait toujours des gens pour faire tout le contraire.
«Se confiner? Non, plutôt mourir si tel est mon destin!».
Dans le passé, des scènes comme celles d’il y a deux semaines, étaient monnaie courante. Les Marocains défilaient dans les rues, priaient ou criaient, et refusaient tout confinement.
Ils n’étaient pas tous affamés, ni fanatisés. C’est «juste» qu’ils avaient une autre manière de voir les choses, une autre conception de la vie.
Ils croyaient à la fatalité, au destin, au «mektoub». Ils disaient: «Si Dieu veut ça, pourquoi se dérober?».
Dans l’histoire du Maroc, et à chaque appel au confinement, des Foukahas parmi les plus écoutés brandissaient leur veto comme des épées et disaient non. «C’est la volonté de Dieu, il ne faut pas s’y opposer ». Ils disaient même: «Celui qui se dérobe à la volonté divine ira en enfer».
Ces contre-appels tombaient dans des oreilles réceptives. Ils étaient suivis et religieusement, c’est le cas de le dire.
Parmi les Fouqahas récalcitrants, certains avaient des visées politiques. Ils «chauffaient» les manifestants et les manipulaient dans le but de destituer le sultan ou calife. Des exemples existent dans la longue histoire marocaine.
D’autres Fouqahas et d’autres manifestants étaient plus «spontanés». Ils avaient une vision binaire du monde. Ils n’avaient pas la science mais ils avaient, à la place, des croyances vieilles comme le monde. Ils pensaient que les épidémies, comme les fléaux et les calamités naturelles, étaient des châtiments divins. Tous ces malheurs s’abattaient sur ceux qui ont oublié leurs devoirs religieux, ou failli au serment passé avec le créateur.
Il faut donc accepter la volonté de Dieu et s’y plier. Ne surtout pas s’y dérober, ni la refuser. Parce qu’elle est méritée.
Le confinement en temps d’épidémie devient ainsi un acte d’insoumission à dieu. Ils le refusent. Le seul recours qui reste en ces temps de malheurs, la seule chose à faire s’appelle la prière, les implorations. Il faut prier, individuellement et collectivement, publiquement, pour implorer le pardon.
Au fil des siècles, cette disposition mentale n’a pas tellement changé. Au Maroc, comme dans d’autres pays musulmans. Le substrat culturel est bien là. Et du moment qu’il est là, la récupération politique devient possible. Il suffit d’appuyer sur un bouton…