Zefzafi, Ilyas, Chaou

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ChroniqueL’idée n’est pas de comparer ces personnages mais d’établir des connections et des points de rencontre. Parce qu’ils existent, il faudrait être aveugle pour ne pas les voir.

Le 15/07/2017 à 17h05

Nasser Zefzafi, Ilyas El Omari, Said Chaou. Rien ne lie a priori ces trois hommes. Ils sont Rifains, c’est tout. Ils sont si différents qu’ils ressembleraient, ou presque, à des lignes parallèles qui ne pourront jamais se croiser. Et pourtant.

L’idée ici n’est pas de comparer ces personnages mais d’établir des connections et des points de rencontre. Parce qu’ils existent, il faudrait être aveugle pour ne pas les voir.

Ces hommes sont des fils du peuple, nés dans des familles modestes. L’amour du Rif, son histoire et sa singularité, tout cela ils l’ont eu dès leur premier biberon. Comme beaucoup d’enfants du peuple, ils n’ont pas pu pousser très loin leurs études, malgré leur intelligence et d’évidentes qualités humaines.

Jusqu’à 20 ans, chacun aurait pu être l’autre, les autres. Ce ne sera pas le cas. A l’âge adulte, ces trois hommes qui auraient pu être des frères de sang prennent des chemins différents. Ces chemins représentent trois manières de voir et de vivre le Rif.

Zefzafi a foncé dans la débrouillardise et le système D, multipliant les petits boulots, vivotant pour assurer le minimum vital. Il fait partie de ceux qui sont restés sur place, ne migrant ni en Europe, ni dans le « Dakhil » (intérieur du royaume). Jusqu’à la mort tragique de Mouhcine Fikri, il y a un peu plus de huit mois, rien, absolument rien ne distinguait Zefzafi de la jeunesse d’Al Hoceima. Une jeunesse dont le lot commun est d’être en colère, grandie et élevée à la dure, avec des perspectives d’avenir quasi bouchées. Une jeunesse qui est d’ailleurs aussi celle de Mouhcine Fikri, celui par qui le Hirak est arrivé.

De son côté, Ilyas s’est accroché aux milieux de la gauche étudiante et s’y est frayé un petit chemin qui, comme chacun le sait, l’a conduit loin, très loin, probablement au-delà de ses propres espérances. L’ancien « camarade », qui a appris à cultiver un remarquable don de l’ubiquité, a parfois donné l’impression d’être partout, fréquentant tout le monde et son contraire. Il a fini, comme il le souhaitait, par se retrouver à la tête d’un projet : le PAM, bien sûr, qui n’est au fond qu’une manière, que les principaux acteurs du Maroc officiel ont imaginée, pour contrer la montée des islamistes. Pour le résultat que l’on sait…

Chaou a choisi, quant à lui, ce qu’on appelle l’argent facile. Il a plongé dans la contrebande et le trafic de drogue. Au passage il a émigré en Europe pour s’acheter une protection (c’est ainsi que beaucoup de trafiquants imaginent la course vers la naturalisation). Il a aussi investi la politique, au point de devenir l’un de ces députés nomades et à la réputation sulfureuse qui animent malheureusement le parlement marocain (quand ils daignent s’y rendre, bien sûr).

Partis de rien ou presque, nos trois hommes représentent, chacun, un modèle du Rif. Ou de la politique d’Etat vis-à-vis du Rif. Une politique née dès les premières années de l’indépendance, et qui est largement en situation d’échec aujourd’hui.

Ce n’est pas une règle générale mais la tendance est lourde, de fond. La gestion désastreuse du Rif a créé des barons de drogue, des députés fantômes, des faux leaders et des vrais desperados. Des hommes propulsés, parfois malgré eux, dans des chemins de traverse, finissant par porter des costumes trop grands, trop larges.

(NB : ça n’a rien à voir avec le thème de cette chronique hebdomadaire, mais je joins ma voix à celles, heureusement très nombreuses, qui se solidarisent avec Nasser Zefazi et expriment leur colère et leur indignation après la diffusion d’une vidéo le montrant à moitié nu.) 

Par Karim Boukhari
Le 15/07/2017 à 17h05