L’amour! Une ferveur envoûtante qui nous lie à un être par des émotions échappant à la raison. On aime à la folie. Si les amoureux sont séparés, c’est le drame. Les beaux contes d’amour sont célèbres parce qu’ils se sont soldés par un déchirement. Qays, amoureux de Leila, nommé Majnoune pour avoir sombré dans la folie. S’il avait épousé Leila, leur idylle serait tombée aux oubliettes.
L’amour est jouissance, mais aussi tourments et souffrances.
Ibn Kayyim Al Jawziya (XIVe), dans Rawdat Al Muhhibbin (Le Jardin des amoureux) exprime les affres de l’amour en ces termes: balâbil (tourments), ch’af (souffrance), chajan (chagrin), danaf (mal chronique), futûn (perturbation), hurqa (brûlure), huzn (tristesse), ikti’ab (mélancolie), junûn (folie), kalaf (épreuve), khilâba (envoûtement), law’a (amour lancinant), rasiss (fièvre), sadam (abattement), suhd (insomnie), tarayyum (sujétion), wahl (frayeur), walah (stupeur)…
Aimer, c’est désirer intensément être tout le temps collé à l’être aimé. Un attachement obsessionnel, physique et intellectuel, désiré par l’âme, l’esprit et le corps.
Aujourd’hui, la science nous apprend que l’amour produit les mêmes réactions que les drogues dures. L’amoureux devient addict, tel un toxicomane, à la présence de l’être aimé. Eloigné de lui, il admire ses photos, jouit de sa voix au téléphone, se délecte des échanges de messages par smartphone pour continuer à baigner dans une douce euphorie.
La raison de cette addiction? La dopamine, hormone du bonheur. Toute action ressentie comme procurant du plaisir stimule une décharge de dopamine dans le corps: manger du chocolat, danser, fumer, se droguer, faire l'amour... Les drogues augmentent la production de dopamine et donnent un sentiment d’enchantement. Les drogués consomment de plus en plus de substances pour ressentir l’effet euphorisant, mais éphémère, de la dopamine.
Le plaisir que procure l’être aimé stimule la dopamine. La recherche de ce plaisir pousse l’amoureux vers l’être aimé pour revivre une extase renouvelée. La dopamine crée des dépendances amoureuses et rend addict à la présence du bien-aimé.
Des expériences menées aux Etats-Unis sur des amoureux confirment les effets de l’effervescence hormonale sur les comportements: dans le cerveau, les aires de la matière grise s'excitent à la vue de l’être aimé ou de sa photo. La même excitation est observée dans des cerveaux de personnes addicts aux drogues.
Les médecins de l’Antiquité grecque parlaient de maladie d’amour. Plus tard, les Arabo-musulmans ont étudié la relation entre les sentiments et leur répercussion sur la santé physique et mentale: l’amour-passion, al-ichq, ses symptômes, ses méfaits et ses remèdes.
Selon Al-Majoussi (Xe), la maladie d’amour se manifeste par des yeux creux, des mouvements oculaires rapides, un amaigrissement et un changement du pouls lorsque le nom du bien-aimé est prononcé.
Pour Ibn Sina (XIe), l’amoureux «a une respiration saccadée, laborieuse, et, lorsqu’il entend de la poésie d’amour, soit il rit, soit il pleure, surtout quand on parle d’abandon et de séparation. Tous ses membres sont fatigués excepté les yeux…».
L’amour propulse au septième ciel, mais non partagé, il mène à la frustration, au traumatisme qui, selon Al-Qoussouni (XVIIe), «pervertit la pensée, affaiblit l’esprit, entraîne de faux espoirs et des passions impossibles et aboutit à la folie. L’amoureux risque de se suicider, de mourir de tristesse…».
Selon Rharès (Xe), beaucoup d’amoureux deviennent insomniaques, ne s’alimentent plus jusqu’à devenir fous et en mourir.
Pour Ibn Taymyia (XIVe), l’amour est un désordre psychique, une maladie qui afflige âme et corps. Il faut donc s’en protéger.
Les médecins arabo-musulmans préconisaient divers remèdes: bains, exercices physiques, massages, boissons, aliments et drogues pour renforcer le cerveau et le cœur. Le fquih donnait des amulettes et des fumigations. On soignait par cautérisation (el kille) et on exorcisait.
L’addiction à l’amour est si ravageuse qu’aujourd’hui la médecine la soigne par une thérapie psychiatrique. Aux Etats-Unis, dans les cliniques spécialisées dans les dépendances, il y a des unités spécialisées pour soulager les addicts à l'amour. Les soins sont identiques à ceux utilisés pour les alcooliques. Une vraie cure de désintoxication et de sevrage.
Mais malgré tout, l’amour reste précieux et captivant. Jibran Khalil Jibran recommande: «si l’amour te fait signe, suis-le, même si le chemin qu’il emprunte est difficile et escarpé». (XXe).
L’amoureux n’est pas toujours disposé à se détacher de son ardent désir. Ce qui fait dire à Ibn Hazm que l’amour est «une maladie incurable. De tous ceux qui le contractent, personne ne veut récupérer, et toutes ses victimes en refusent la guérison». Dans l’une des plus célèbres histoires d’amour de l’Andalousie, Ibn Zaidoun déclame à sa bien-aimée Wallada: «si la pleine lune des ténèbres s’inclinait amoureusement vers nous de l’endroit où elle se lève, elle ne ferait pas changer notre désir». (XIe).
Le remède miracle, selon Ibn Sina, c’est l’union et la fusion des amoureux. Le tendre amour, celui qui échappe à la maladie et qui enchante le cœur et l’esprit, est celui qui est savouré à deux et dont la flamme est perpétuellement entretenue… Même si son éclat diminue avec le temps.