«Notre vaccin est beau, il est arrivé beslama (en sécurité), il nous a illuminés, Dieu harmonise el lama (nos retrouvailles).»
Un vaccin si attendu, précieux… vital… que j’accueille dans al3ammarya (palanquin) avec cette chanson marocaine dédiée à l’arrivée de la mariée ou du marié lors de la cérémonie de mariage. J’implore votre indulgence: j’ai essayé, maladroitement, de la traduire en français.
Enfin le bout du tunnel. La courbe du moral remonte, on se projette dans la reprise d’une vie… Juste normale, juste comme avant. On ne demande rien d’extraordinaire, juste ça! Pour certains, ce sera lors de ramadan, en avril. Pour d’autres, en juin, juste pour des vacances tant attendues, pour ceux dont l’activité professionnelle n’a pas été sinistrée. Pour les autres, ce sera la reprise. La seule perspective d’être libre de quitter chez soi et d’y revenir à n’importe quelle heure est déjà une détente.
Nous avons traversé une période de fortes turbulences: peur, angoisse, incertitude, maladie, perte de revenus, perte de proches, perplexité face au manque d’informations, aux informations contradictoires, aux fakes news, à la désinformation, à l’influence des complotistes, des paranoïaques, des je-m’en-foutistes…
Même si nous attendions un vaccin, nous n’avons pas été très enthousiastes à l’annonce de sa sortie. Nous étions dans une ambiguïté anxiogène, face à un dilemme: d’un côté, il n’y a que le vaccin qui peut sauver l’humanité. D’un autre, selon de nombreuses sources, le vaccin serait mortel, nocif, un prétexte pour nous injecter une puce pour nous contrôler.
Nombreux avaient décidé de ne pas se faire vacciner. D’autres, plus téméraires, l’acceptaient. D’autres enfin se disaient prudents et vouloir attendre l’effet du vaccin sur les autres avant de s’aventurer eux-mêmes.
Mais alors quel vaccin? Nous suivions avec intérêt l’actualité internationale pour savoir lequel sera le plus efficace. Mais nous pensions que notre sort était déjà scellé puisque le Maroc a été avant-gardiste et précurseur. L’accord était déjà passé avec la Chine pour avoir la priorité.
Entretemps, d’autres laboratoires ont produit des vaccins. La concurrence et les internautes affirmaient que certains vaccins étaient plus efficaces, moins nocifs que le Chinois. Lequel est le bon et surtout lequel est le mauvais?
Et puis nous avons traversé une période de silence radar, un retard inexpliqué pour la livraison du vaccin. Silence qui a favorisé toutes sortes de spéculations, semant le doute dans nos esprits et le désespoir.
Mais l’Etat communiquait sur la logistique de la vaccination. Deux réactions : ceux qui disaient que c’est une tactique pour cacher son échec et nous faire patienter en attendant des solutions. Les plus confiants disaient qu’il ne peut y avoir une telle préparation si la livraison des vaccins n’est pas assurée.
Alors que nous pensions être un des premiers pays à être massivement vaccinés, nous nous voyons dépassés par d’autres. Déception !
Et puis enfin la délivrance avec les avions de la RAM. De la lumière du bout du tunnel. Bientôt plus de couvre-feu, reprise de l’activité économique, liberté de se déplacer à sa guise et à toutes les heures, voyager, organiser et assister à des fêtes, rencontrer les personnes aimées, s’embrasser, s’enlacer, se saluer par les mains et non pas comme avec des pestiférés. Plus de privations et de frustrations. En surtout, surtout, plus de masque!
Ça y est, on vaccine. Anglais ou chinois? Peu importe. S’inscrire et attendre la délivrance. De nombreux sceptiques, qui refusaient la vaccination, ont changé d’avis. C’est aussi à cause de l’annonce d’un passeport sanitaire. La rumeur gonfle: «ils disent que le vaccin n’est pas obligatoire, mais ils t’étranglent: sans passeport, pas de voyage, ni de documents administratifs…». Certains attendent la réaction du vaccin sur d’autres, d’autres veulent avoir le choix entre différents vaccins.
Mais ce qui est sûr, c’est que la médiatisation de la vaccination du Souverain a réconforté. Son vaccin serait chinois, selon ceux qui affirment avoir zyeuté la boîte dans la main du médecin.
Les photos de personnes se faisant vacciner circulent. Un moment historique, le dernier de notre vie j’espère, qu’il fallait immortaliser. S’ensuivent alors des questions: tu n’as pas mal, tu ne ressens rien d’anormal…
Le sujet d’actualité, c’est bien sûr la vaccination. Il y a même des formules de politesse de circonstance: «tu l’as fait? Bissaha (avec bonne santé), 3la salma (intraduisible), allah ynaf3ake (Dieu t’en fasse bénéficier) … ». Réponse: «Allah ya3tike assahha (Dieu te donne la santé), La3gouba like, ou mankounou m3ake (bientôt ton tour, j’espère)». Et chacun guette les faits et gestes des vaccinés pour détecter d’éventuels signes bizarres, effets néfastes du vaccin.
L’humour va bon train sur le vaccin chinois: «tes yeux se sont bridés?». Certains font semblant de parler chinois. D’autres imitent des stars indiennes de Bollywood en référence à l’autre vaccin qui a été fabriqué en Inde. Mais demeure une angoisse chez les méfiants: et si la deuxième dose n’était pas livrée?
Moi, je reste confiante et fière de la gestion de la crise sanitaire par notre pays, surtout en comparaison avec d’autres pays, puissants, plus développés, plus riches… Le 3 février, en termes de personnes vaccinées, le Maroc était devant les Pays-Bas et juste derrière la Suisse. Allah ikammale bikhiiiiire (bonne continuation)!