Algérie: quand l’«affaire Abd el-Kader» met à nu l’illégitimité historique du «Système»

L’Afrique réelle

ChroniqueUne polémique lancée sur l'«émir» Abd el-Kader vient jeter un pavé dans la mare de la prétendue légitimité de la junte aux commandes. Bernard Lugan dévoile dans un texte à la fois rigoureux et précis les non-dits de cette polémique, consubstantielle à l’acte de naissance du «Système» algérien.

Le 25/06/2021 à 08h01

Une furieuse polémique a éclaté en Algérie après les déclarations de Noureddine Aït Hamouda à une chaîne de télévision privée au sujet d’Abd el-Kader, qu’il a qualifié de «traître». Or, à travers Abd el-Kader1, Amrane (dit Nouredine) Aït Hamouda, député du parti RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), fils du colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle de la willaya III, tué au combat le 29 mars 1959, vise le cœur même du «système» algérien à travers son histoire fabriquée.

En 2008, Nouredine Aït Hamouda avait déjà provoqué un tumulte quand, dans l’hémicycle, il avait dénoncé les faux moudjahidine légitimés par l’ONM (Office national des Moujahidine, le ministère des anciens combattants), ainsi que le chiffre de 1,5 million de morts causé par la guerre d’indépendance. Un chiffre fantaisiste qui permettrait au «Système» de justifier le nombre surréaliste des ayants-droit, notamment celui des veuves et des orphelins. Sur les 2 millions de porteurs de la carte de moudjahidine et d’ayants-droit, les ¾ seraient ainsi des imposteurs…

Or, pour le «Système» algérien dont la «légitimité» repose sur une histoire fabriquée, la dénonciation des faux moudjahidine représente un danger mortel car ces derniers, et désormais leurs descendants, constituent le noyau dur de sa clientèle. Quant à l’ONM, il est le principal vecteur de l’histoire fabriquée, ses responsables nommés ayant pour mission de cautionner, de populariser et d’ancrer le mensonge sur lequel vivent ceux qui dirigent l’Algérie depuis l’indépendance et le coup d’Etat qui renversa le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne).

Or, cette histoire officielle présente Abd el-Kader comme celui qui a unifié l’Algérie à travers sa résistance à la conquête française. Le qualifier de «traître» comme le fait Noureddine Aït Hamouda met donc à terre une figure emblématique de l’histoire nationale et c’est pourquoi ses déclarations ont déchaîné des torrents de haine et la saisie de la justice.

Abd el-Kader était-il un «traître»?Historiquement, qu’en est-il? Abd el-Kader fut-il un «traître»? Disons-le d’emblée, le terme «traître» est inapproprié, car Abd el-Kader n’a jamais trahi une Algérie qui n’existait pas alors, puisqu’elle est née en 1962, après être directement passée de la colonisation ottomane à la colonisation française. En revanche, Noureddine Aït Hamouda met le doigt sur la manipulation de l’histoire car le dogme de la guerre d’Abd el-Kader, vue comme un soulèvement «national», relève de l’idéologie.

Quelques exemples permettent de le démontrer. Ainsi, en 1839, pour tenter d’attirer à lui les Kabyles, Abd el-Kader se rendit dans la région de Vgayet (Bougie-Béjaïa), à Akbou chez les Aït Yala, ainsi que dans la vallée de la Soummam mais, en butte à l’hostilité des populations, il renonça à les soulever. Lors de l’assemblée de Boghni, les Iguechtoulène et les représentants de plusieurs autres tribus lui avaient d’ailleurs déjà fait savoir que, pour eux, il était «le sultan des Arabes» et qu’ils ne le reconnaissaient donc pas. La tradition rapporte même qu’un chef Kabyle aurait montré un plat plein de plomb à un de ses envoyés, le «couscous noir» signifiant qu’il ne voulait pas le voir chez lui.

En réalité, seule fut concernée par la guerre d’Abd el-Kader, une partie de l’actuelle Oranie, et encore, même là, plusieurs tribus qui le détestaient car son père avait été leur adversaire à l’époque de la Régence ottomane, à savoir les Douera (Douairs) et les Smela qui étaient dirigées par Mustapha ben Ismaïl, se soulevèrent contre lui. Nous sommes donc loin de la «résistance nationale».

Pour le qualifier de «traître», Noureddine Aït Hamouda fait référence à une déclaration datant du mois de mars 1871 faite à Damas, l’exil d’Abd el-Kader, à propos de la grande insurrection kabyle dans laquelle il dénonçait le soulèvement de Mokrani en ces termes:

«Nous prions le Tout puissant de punir les traîtres et de confondre les ennemis de la France».

C’est cette phrase qui fait dire à Noureddine Aït Hamouda qu’Abd el-Kader était un «traître» vendu aux Français… La vérité est plus «subtile».

Entre Abd el-Kader et Mokrani, cette autre très grande figure du panthéon national algérien, le contentieux était en effet ancien puisqu’il remontait, au début de la conquête de l’Algérie, quand le ralliement des Al-Mokrani aux Français avait fait dire à Abd el-Kader:

«Que leurs vœux ne soient jamais exaucés. Que leur prière ne soit jamais accueillie. Qu’ils vivent dans l’opprobre et la misère. Qu’ils tombent si bas pour qu’un misérable juif puisse les soumettre à son pouvoir».

Nous voilà donc loin de l’histoire officielle qui présente les deux hommes comme des « unitaristes algériens» précurseurs du FLN… Une histoire officielle écrite au moment de l’indépendance afin de tenter de donner une cohérence aux différents ensembles algériens car, comme l’a écrit Mohamed Harbi:

«Loin d’être un bloc, la révolution fut vécue différemment selon les groupes humains et les individus. Elle fut variée selon les régions qui réagirent selon leurs structures et leur singularité. On a souvent occulté ce fait attentatoire au jacobinisme national par crainte de la vulnérabilité du pays».

Les autres «traîtres»Noureddine Aït Hamouda ayant également qualifié de «traîtres» des hommes comme, entre autres, les anciens présidents Ben Bella, Boumédiène et Bouteflika, c’est au grand non-dit de l’histoire officielle algérienne qu’il s’est ainsi attaqué. Une charge bien plus fondamentale que celle menée contre la mémoire d’Abd el-Kader car elle est portée contre les œuvres vives du «Système» algérien.

Ce faisant, Noureddine Aït Hamouda rend public le non-dit qui est au cœur de la lutte à mort que se livrent aujourd’hui les héritiers des auteurs du coup d’Etat de 1962 et ceux qui se réclament de la légitimité du GPRA. Un retour en arrière s’impose donc sans lequel la polémique qui secoue actuellement l’Algérie est incompréhensible.

Dès le lendemain du second conflit mondial, la question berbère divisa le courant nationaliste algérien. En 1948, dans son appel à l’ONU, le PPA/MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), dirigé par Messali Hadj, inscrivit dans le texte la phrase dogmatique suivante: «la nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle», ce qui provoqua la fureur de la composante kabyle du courant nationaliste.

Puis, en 1949, au sein de la section de métropole du PPA-MLTD, éclata la «crise berbériste» qui opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la «berbérité» comme partie intégrante du nationalisme algérien, à la direction arabo-islamique du mouvement laquelle s’y opposait farouchement. Ce fut à l’occasion de cette crise que fut posée la question de l’identité algérienne. Cette dernière était-elle exclusivement arabo-islamique ou berbère et arabo-islamique?

Pour la direction du mouvement et pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire «coaguler» ses différentes populations. Tout était donc clair: l’Algérie était une composante de la nation arabe et le berbérisme un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens. Les berbéristes furent donc écartés de la direction du PPA/MTLD et ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’OS (Organisation Spéciale) au profit de l’Arabe Ahmed Ben Bella.

Cette guerre interne au courant nationaliste se prolongea durant toute la guerre d’indépendance algérienne qui, sur le terrain –et non depuis les camps de l’ALN installés au Maroc et en Tunisie–, fut essentiellement menée par des maquisards dont les chefs étaient les Berbères Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou encore Hocine Aït-Ahmed. Or, Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, Boumédiène, Bouteflika et bien d’autres, même quand ils étaient Kabyles ou Chaoui, firent tout pour marginaliser ces chefs, à leurs yeux suspects de berbérisme. La liquidation physique d’Abane Ramdane et l’effacement d’Amirouche du Panthéon national algérien illustrent cette réalité. Et nous voilà donc au cœur du non-dit des déclarations de Noureddine Aït Hamouda…

Au lendemain de l’indépendance, les véritables combattants, ceux qui avaient tenu le maquis et qui sortaient épuisés et affaiblis de sept années de guerre, furent en effet évincés par l’ALN du colonel Boumédiène dont les forces étaient intactes puisqu’elles n’avaient pas véritablement combattu les Français. Ce fut le coup d’Etat de l’ALN contre le GPRA. Or, ce coup d’Etat est l’acte de naissance du «Système» algérien lequel, pour tenter de se légitimer, a écrit une fausse histoire construite autour, au mieux, de mythes, mais le plus souvent de mensonges.

Or, en 2010, la parution du livre Amirouche, une vie, deux morts, un testament, écrit par Saïd Sadi et consacré à Amirouche Aït Hamouda, le père de Noureddine Aït Hamouda, fit exploser cette histoire officielle. Dans son livre, Saïd Sadi soutient en effet que le colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique de la willaya III, tué au combat dans une embuscade, aurait été donné aux Français par le MALG (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales, le service de renseignement de l’ALN), notamment par Abdelhafid Boussouf et Houari Boumédiène. Puis, une fois au pouvoir, ce dernier aurait ensuite littéralement effacé sa mémoire du panthéon national algérien, afin d’éviter qu’un culte patriotique lui soit rendu.

L’actuelle polémique qui secoue l’Algérie va donc bien au-delà de la mémoire d’Abd el-Kader. Cependant, en focalisant sa contre-attaque sur les accusations portées à l’encontre de ce dernier, le «Système» lâche un nuage de fumée qui lui évite d’avoir à rendre des comptes sur une «légitimité» historique qui se délite chaque jour un peu plus.

_______________ 1Abd el-Kader, qui appartenait à la tribu arabe des Hachem, se rattachait à la lignée chérifienne des Idrissides, les fondateurs du premier Etat marocain au IXe siècle. Il descendait donc du Prophète, comme les Alaouites. Cette réalité mérite d’être soulignée car son père, Mahi ed Dine, fut le khalifat (ou représentant) du sultan du Maroc à Tlemcen. Lui-même était le gendre du sultan Moulay Abderramane, dont il avait épousé une des filles.

Par Bernard Lugan
Le 25/06/2021 à 08h01

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VOS RÉACTIONS

résistons pour ne pas rire de ce voisin qui sans vraie histoire de son pays se rabat sur un héros qui n'en été pas, les archives française l'attestent, France entrée en 32 l'émir abdelkader se réveille en 43 (un ans de la bataille d'Isly) pour défendre sa smala et non ce pays. Nonobstant cet événement, boumedienne échangea le "traitre" petit fils de l'émir (enterré en Israël tête vers le Golan) avec bourse déliée au profit de Hafed el assad contre les restes de son grand père, l'algérie a eu droit a UN héros de secours enfoui au carré des martyrs lui l'ami de la france surtout de Napoléon, comme la chine son Mao, URSS son Staline et l'espagne son Don Quichotte. Quant l'histoire ne s'est pas faite grandement algérienne, l'algérien la manipule comme ces danseuses convoyées a l'ONU

Merci M. Lugan pour vos excellentes analyses et votre courage à dire certaines vérités qui ne plaisent pas aux adeptes de l'histoire idéologique et des professionnels la falsification historique. Votre connaisse de l'histoire africains dénote avec l'ignorance crasse de ceux qui prennent pour des historiens alors que le connaissance se résume à copié collé et du plagiat médiocre

Monsieur Lugan c'est toujours un plaisir de vous lire, merci

Merci monsieur lugan pour la clarté et la simplicité du texte,sans ambiguïté.

Très belle démonstration, merci. Les Kabyles ont eu tort de s' allier au voyou du FLN pour combattre la France : ils auraient obtenu plus en négociant avec De Gaulle une large autonomie pour eux. Quand à la France, elle a fait une grande erreurs en donnant l Algérie "indépandante" au FLN en pensant pouvoir les manipuler : le résultat est que ces voyoux ont mené l un des pays les plus riches d Afriques à la faillite et maintenant font du chantage à la France en "exportant" le surplus d Algérien vers l hexagone. Quel gâchis !

Bonsoir Professeur. L'histoire c'est le temps qui passe. Dans Britannicus, Jean Racine nous avait averti : "Il n'est point de secrets que le temps ne révèle". J'adhère complétement à votre démonstration dont je connaissais déjà un certain nombre d'éléments mais pas tout. Et dire que tout ça, c'est pour conduire un pays plein de richesses et son peuple vers la misère sociale, le désarroi et le désespoir de sa jeunesse, c'est révoltant! Mais rassurons-nous, le peuple algérien est un peuple mature, digne, courageux et lucide. Il est sur le chemin de reprendre son destin en main et c'est tout ce qu'on lui souhaite. Cordialement.

La vérité, l'histoire, les preuves irréfutables fait peur au pouvoir algérien falsificateur de son existence, son identité, son ADN, sa courte histoire..., comme les vampires qui fui le soleil, mais quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Même si elle met plus de temps, la vérité finit toujours par arriver ! Merci Monsieur Bernard Lugan pour ces points historiques que vous avez mis brillamment sur les Î

Le régime algerien œuvre tous les jours pour créer des polémiques afin de détourner l'attention du peuple. On entend toutes les semaines des nouvelles histoires..... On est en 2021 qu'est-ce que l'histoire d'Abd elkader ou autre peut apporter aux algeriens ! Ce régime incompétents et non patriote, au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes il maintient cette ambiance de propagande et de polémique !!

Un grand merci Monsieur Lugan pour cette chronique historique qui nous permet de comprendre les faits d’aujourd’hui. Une Algérie qui a été fabriquée de toutes pièces : Son histoire, son existence, son territoire et sa légitimité sont une fabrication et construction mensongères.

Ou sont les vrais historiens Algérien pour écrire leurs propres histoire.je ne comprends pas que les Algériens continuent avec le lavage de cerveau fait par boukarrouba

Cher Professeur, en précisant que l'émir Abdelkader était idrisside et que son père était le khalifat du sultan du Maroc à Tlemcen, vous avez introduit dans ce débat une vérité assommante pour certains caporaux de la Corée de l'Est. Je suis certain qu'ils auraient préféré que leur symbole soit un "traître" plutôt qu'un descendant de "Marroqui". En même temps, cette vérité historique rappelle à nos respectables Chorfa Idrissides que leurs ancêtres ne sont pas venus au Maroc par un vol direct, sans escale (excuser le pléonasme) du Hijaz à l'aéroport de " Fes-Saiss".

Les chefs Kabyles ont fait une grave erreur d'avoir refusé l'indépendance de la Kabylie proposé par le Général De Gaule en pleine guerre d'Algérie. De Gaule savait très bien qu' en donnant l'indépendance aux Kabyles belliqueux, la France gardera à jamais tout le reste de l'Algérie (car les Arabes ne peuvent plus se révolté sans les Kabyles). Les Turcs n'ont jamais pu dominé la Kabylie, De Gaule voulait absolument se débaraser de la Kabylie, qui est un véritable obstacle pour tout envahisseur (France comprise). Kabylie un vrai casse ête pour la France.

toujours très intéressant et bien argumenté historiquement J'ai beaucoup appris à travers vos chroniques merci

Toutes mes sincères salutations ; j'apprécis beaucoup vos éclaircissements historiques ; je suis un vieux marocain de 70 ans ; bonne continuation et courage

... tout ce qui est batie sur le mensonge finira par s'effondrer, le FLN illégitime a réussi á mener l'algerie á sa perte. L'algerie, état nation tout récent (depuis 1962), est une mosaique de peuplades sans racine profonde finira par s'effriter par lui même tôt ou tard.

tout est dit, merci Bernard Lugan de rappeler des faits historiques limpides

Toute lhistoire fr l Algerie est à reecrire ... La junte militaite en 62 s est accaparée de l independance , de la legitimité revolutionnaire et continue à regner sans partage ...

Wow!!!!!!!

L'éclairage historique précis et argumenté de M. Bernard Lugan est une source précieuse pour comprendre le présent et le devenir du Maghreb. Merci Monsieur.

Excellente synthese historique! QUI demontre la faillite du systeme des caporaux d'Alger,un systeme fabrique par du copie-colle.Depuis le 13 Novembre 2020,les voyoux du POLIKHARIO DEGAGES de Guerguerate ont cree la Republique POLIKHARIOALGERIENNE....

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