Le Maroc intéresse. Pour ce qu'il est –situation géostratégique, un Etat nation historique, un esprit national capitalisé par la religion et la culture, une cohésion sociale sans oublier une identité. Mais il intéressa aussi par ce que l'on a appelé un certain “exceptionnalisme“ –corollaire de tous ces acquis avec ses prolongements tels que la stabilité, les réformes et les chantiers du Nouveau Règne ou encore la vision d'un Maroc d'avenir. C’est précisément sur ce dernier registre qu'un auteur, Gunter Pauli, vient de publier un livre: “Le modèle Maroc“ avec ce sous-titre “Concevoir la croissance économique pour le bien commun“ .
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De quoi s'agit-il? Son hypothèse centrale est celle-ci: réconcilier nature et emploi, écologie et économie, construire un monde où tout déchet sera une ressource, semer les idéaux donc. Un ouvrage qu'il a centré sur le Maroc –sur ce qui est fait et ce qu'il faut entreprendre– analysé ici comme un laboratoire pouvant offrir le futur de toute l'humanité. L'auteur ne le dissimule pas: il entend faire montre d'un esprit entrepreneurial. Sa grille de référence est celle-ci: “le mariage d'une entreprise extraordinaire qu'est le Groupe OCP et d'une découverte extraordinaire d'opportunités“. Celles-ci doivent être adaptées à leur tour pour le bien commun. Et la clé n'est autre que l'innovation s'inscrivant dans une stratégie à long terme.
Ce qui est proposé a trait “à une création majeure d'emplois et de richesse“. L'ordre du jour est le recadrage et le recentrage de la Nature dans un chemin évolutif servant à inspirer la nouvelle génération. Il importe en effet de sortir de la situation actuelle et d'aller au-delà des solutions ordinaires. C'est qu'en effet “un nouveau portefeuille d'opportunités“ est de nature à concevoir autre chose.
Autrement dit, un voyage d'innovation et d'entrepreneuriat en somme, où le Groupe OCP “souhaite être un agent de changement explorant le Bien commun“. Des propositions sont formulées, la plupart ayant d'ailleurs été mises en œuvre auparavant, en dehors de la perspective traditionnelle dominante. Elles ont pour noms la transformation du phosphogypse en algue, de la poussière de l'extraction minière en papier de pierre, des sols délabrés en terres fertiles, des mauvaises herbes en fromages de chèvre et tant d'autres processus encore.
A travers une immersion faite par l'auteur dans le Groupe OCP, il relève que cette plus grande entreprise du Maroc et force industrielle en Afrique, est attachée à ce que ses réserves doivent “être exploitées, à long terme, dans l'intérêt du peuple marocain et du monde“. Ce qui implique une gestion intelligente de ses ressources dans une perspective de “gestion intelligente de la sécurité alimentaire dans le monde“.
D'une autre manière, comme pour toutes les entreprises, il n'y a qu'un seul véritable objectif: fournir des produits et des services en faveur des intérêts de la société. Créer aussi de la valeur en faveur des intérêts de la société; veiller enfin à ce que la Nature puisse poursuivre son évolution.
L'une des propositions relatives aux effets de l'extraction des phosphates est de “faire mieux“ qu'aujourd'hui. L'OCP fonctionne dans ce domaine bien au-delà des normes de l'industrie; elle répond à toutes les normes imposées au niveau international –c'est connu. Mais après un cycle d'exploitation des mines, que faire? Aujourd’hui, suit un programme de réhabilitation de l'environnement décliné autour du réaménagement du sol et de la plantation d'arbres– dans le bilan, ce sont ce que l'on appelle des “frais de clôture“. Une autre stratégie minière donc avec un modèle d'affaires pour les déchets générés (carbonate de calcium, silicates, pierre).
Les pierres, qu'en faire? Les Chinois, eux, ont inventé le papier de pierre. Une opportunité de recyclage exceptionnelle. Au Maroc, une première étape serait la construction d’une usine initiale de fabrication de papier de verre d'une capacité annuelle de 250.000 tonnes pour prendre en charge le marché local.
L'investissement requis est de 200 millions de dollars, 15.000 emplois seraient créés. Un coût d'investissement de 800 dollars par tonne, soit la moitié de celui d'une papeterie conventionnelle. Le papier de pierre? Une innovation majeure: il ne se déchire pas facilement, sa surface est résistante à l'eau; il sèche; il est ignifuge; il est naturellement résistant dans les boîtes en carton alimentaire aux champignons et aux insectes. Le Maroc est intéressé par ce process avec un début de partenariat avec Pékin: des déchets miniers de l'OCP sont ainsi traités en Chine avec des cargaisons de conteneurs de papier et de carton; un mécanisme de commercialisation va se mettre en place pour être élargi et donner forme et contenu à cette nouvelle option stratégique pour le Maroc.
Autre axe à l'ordre du jour: la culture des produits biochimiques dans le désert. Le problème est celui des terres abandonnées: comment les restaurer? Il s'avère que la meilleure réponse est la “culture“ de la Nature grâce au chardon, une plante de la famille des artichauts qui pousse sauvagement autour de la Méditerranée. Les agriculteurs essaient de la contenir avec des herbicides agressifs (glyphosate, ...), suspectés d'être cancérigènes par l'OMS. Cette plante fait partie de l'environnement naturel de la région; elle est la réponse de la Nature à un sol épuisé et appauvri – c'est un “agent“ pour transformer le mauvais sol en terre fertile et rétablir l'équilibre dans l'écosystème. Le chardon peut faire, pour les sols pauvres du Maroc, ce qu'un pin tropical a fait au cours du demi-siècle dans une partie reculée de la Colombie.
Au Maroc, ce chardon est un atout. L'OCP étant habitué à la planification à long terme et peut ainsi maîtriser la culture du chardon avec ses cycles de sept ans pour régénérer le sol. Ainsi on peut transformer une superficie de chardon de 15.000 hectares de terres endommagées par l'exploitation minière à ciel ouvert intensive qui croît de 500 hectares supplémentaires chaque année en prairies fertiles. Le chardon a également des qualités nutritionnelles alimentaires: la partie comestible est la tige. Il offre aussi une alternative majeure pour l'alimentation animale; les graines de chardon, elles, contiennent plus de 30% de protéines –un aliment idéal pour la volaille, une industrie avec une production annuelle moyenne de 6 milliards d'œufs. Le Maroc a le potentiel de planter du chardon sur des milliers d'hectares. Le premier projet pilote est d’ailleurs prévu à Khouribga où 10 hectares seront plantés avec 10 millions de semences données par l'industriel Novamont (Italie) en pointe dans ce domaine.
Avec les algues maintenant, c'est une autre opportunité que l'auteur a découverte dans son appréhension du futur modèle de développement. Il s’agit de “bâtir une activité supplémentaire pour récolter les phosphates directement de la production actuelle de la Nature plutôt que de les extraire des gisements laissés par la Nature, il y a des millions d'années“. Aujourd'hui, la production de phosphates –comme toute activité minière– consomme de grandes quantités d'énergie; demain, elle pourrait produire de grandes quantités d'énergie. Cette perspective va au-delà de l'engagement de l’OCP d'utiliser 100% d'énergie verte d'ici 2028.
Le gaz d'algue est une ressource propre et renouvelable –un potentiel énorme du biogaz des algues. La vision du Modèle Maroc s'articule autour de programmes de milliers –et demain de millions– d'hectares de plantations d'algues offrant des avantages particuliers: de nouveaux revenus pour les communautés de centaines de milliers de personnes le long des 3.500 km de côtes; restauration des stocks de poissons et des environnements marins; pas d'empreinte carbone... Une transition pour le Maroc permettant de passer d'un pays minier de phosphate consommateur d'énergie en pays cultivateur de phosphate producteur d'énergie.
Plus surprenante est cette fois l'opportunité offerte au Maroc dans le domaine de la... paléontologie. Il y a en effet “plus de choses cachées dans son sol que dans les précieuses couches de phosphates“. Des quantités massives de fossiles existent et peuvent faire du Maroc un grand producteur de squelettes de dinosaures. Une tête de dinosaure se vend 100.000 dollars; un squelette complet, un million de dollars –il y en a des centaines enterrées. Une “industrie fossile“ a un potentiel; elle peut créer des millions d'emplois dans les zones rurales –de quoi régénérer les communautés in situ et freiner l'exode rural.
Au final, sont proposées de nouvelles règles de jeu avec un état d'esprit innovateur pour le Bien Commun. Un nouveau modèle économique à l'ordre du jour. Une comptabilité rependant les pratiques financières d'évaluation et de dépréciation des actifs; l'utilisation de la valorisation (actifs immobilisés et amortissement) pour guider les décisions stratégiques; des zones d'innovation libres éliminant tout type de taxe dans une zone donnée.
Un livre de référence. Une grande enquête de terrain. Décapante. Et disruptive. Un prolongement interpellatif de la problématique actuelle d'un nouveau modèle de développement.