Lundi 23 août, s’est tenu le dernier Conseil de gouvernement de Saâd-Eddine El Othmani. Ce cabinet avait été nommé voici plus de quatre ans, le 5 avril 2017, par le Roi. Un au revoir donc, un adieu même! Cet exécutif n’a que trop duré; il n’en finissait pas avec un mandat de législature s’étirant jusqu’à son terme constitutionnel. C’était pesant pour tout le monde. Pour une majorité de ministres sans doute calfeutrés dans les aisances mais qui n’avaient pas tellement confiance ni en eux-mêmes, ni en leur action, ni en des lendemains incertains. Pour l’opinion publique, lasse elle aussi, et qui ne donnait pas beaucoup de crédibilité ni à leurs personnes pas plus qu’à leurs politiques. Pour le monde économique, enfin, supportant une équipe dont le bilan restait largement en question.
Napoléon, avant de nommer un général, posait cette dernière question: «est-il né sous une bonne étoile?» Suivant la réponse, le sort était scellé… Pour revenir au Maroc, force est de faire ce constat: El Ohtmani et son cabinet n’ont pas eu la «baraka»: tant s’en faut. Pas d’alignement des planètes ni de bénédiction divine, semble-t-il, pour rester dans un registre qu’il s’est échiné depuis des lustres à s’accaparer et à capter comme une sorte d’OPA –la «scoumoune», pour résumer.
En responsabilité, dès le départ, il s’est trouvé confronté à la contestation du Rif, ce hirak qui s’était mobilisé depuis la fin octobre 2016 par suite du décès tragique d’un poissonnier à El Hoceima. Son parti, alors aux commandes –Abdelilah Benkirane était alors chef du gouvernement désigné– n’a rien vu venir. Pourtant, les revendications des populations de la région étaient légitimes: des programmes sectoriels signés un an auparavant, en présence du Roi, n’avaient pas eu le moindre début d’application. Cela porte un nom: l’incurie. Pendant six mois, les évènements s’étaient multipliés; générant une crise politique.
Le dossier est finalement pris en mains par le Souverain qui donne ses instructions lors du Conseil des ministres du 25 juin à Casablanca. On connaît la suite: audit confié à la Cour des comptes présidé par Driss Jettou; limogeage de quatre ministres le 24 octobre suite au rendu de cette juridiction financière; cinq nouveaux ministres nommés le 22 janvier 2018; format corseté du cabinet réduit à 24 membres le 9 octobre 2019 en lieu et place des 39; et le 7 avril 2020, entrée de Saaïd Amzazi (Education nationale) et de Othman El Ferdaous (Culture, jeunesse et sports). Qu’en déduire? Des ajustements répétés témoignant d’un «calage» des profils sur des bases de compétences et d’objectifs. Une déstabilisation marquée du sceau des correctifs et des sanctions.
Mais il y a plus. C’est aussi toute la mise en œuvre du programme gouvernemental qui fait l’objet, en différentes circonstances, d’un recadrage et d’une mise en perspective. Le cabinet gère au mieux, mais imprime-t-il des réformes, un rythme? Donne-t-il visibilité et lisibilité à ce qu’il fait? C’est difficilement soutenable. Des impulsions sont nécessaires: elles émanent du Souverain. Elles concernent notamment les questions suivantes: régionalisation à implémenter, déconcentration à opérer, réforme du système éducatif et professionnel élargie au préscolaire, réarticulation du secteur public, la mobilisation avec tous les dispositifs de lutte contre la pandémie du Covid-19 sans oublier le grand chantier de la protection sociale décliné jusqu’à l’horizon 2025.
L’appel royal en faveur d’un réexamen du modèle de développement, en octobre 2017, n’a pas conduit le gouvernement en place à corriger dans les meilleurs délais les politiques publiques. Une situation singulière où le cabinet «continue pour continuer» avec en surplomb une censure de ce qu’il fait en attendant un Nouveau modèle de développement (NMD). De l’inconfort. Du décalage aussi. Et comme ce NMD n’a été rendu public qu’à la fin mai dernier, aucun «rattrapage» n’était possible: l’exercice 2021 était déjà bien entamé avec au surplus la proximité des échéances électorales dans les mois qui allaient suivre.
Au total, ce cabinet a un bilan et un actif, sans doute; mais il a aussi un passif dont il est comptable. Ce bilan-là n’est assumé aujourd’hui en propre que par le seul El Othmani et les ministres de sa formation islamiste. Ses alliés, au sein de la majorité, ne le revendiquent pas sauf pour ce qui est de leurs département respectifs –c’est surtout vrai d’ailleurs pour le RNI et ses ministres, Aziz Akhannouch (Agriculture) en tête mais aussi Moulay Hafid Elalamy (Industrie, Commerce) et Mohamed Benchaaboun (Economie et Finances). Précisément, à propos de cette majorité, il faut bien rappeler qu’elle a été bancale, chaotique même. Une Charte commune a bien été signée par les dirigeants des cinq partis, le 21 février 2018, à Rabat, soit huit mois après la nomination du gouvernement. Un retard déjà significatif, alors qu’un texte de cette nature avec les engagements qu’il implique est généralement signé, soit lors des consultations préalables, soit dans la foulée immédiate de la mise en place de l’exécutif. Cela tient à la capacité de négociation et d’arbitrage d’El Othmani, à son déficit d’autorité et de leadership. A-t-il réussi à la fin de son mandat actuel à porter des réformes et à les incarner? Difficile de le dire. D’autant qu’il n’a pas été servi par une communication efficiente; il accusait à cet égard un grand différentiel avec celle gouailleuse, et même populiste, de son prédécesseur, Abdelilah Benkirane.
A la tête de son parti, son bilan est-il d’une autre facture? Pas vraiment. Il a dû faire face aux suites du départ du même Benkirane qui n’a pas été reconduit pour un troisième mandat de secrétaire général, lors du 8e congrès en décembre 2017. Des divisions sont alors apparues couplées à des luttes intestines. Le président du conseil national du PJD, Driss Azmani El Idrissi, a présenté sa démission à la fin février dernier; elle été refusée par cette même instance. Mais elle a soulevé des critiques de fond: positions du parti non conformes aux principes, désaccords sur la gouvernance de la direction. Le même jour, Mustapha Ramid, ministre d’Etat, s’était fendu d’une même lettre de démission sur laquelle il est revenu ultérieurement. Tout cela fait désordre…
Dans quel état se trouve cette formation à la veille des scrutins du 8 septembre? La confiance a-t-elle été restaurée? Pas par El Othmani: il n’a pas la main sur les questions économiques, confiées à Mohamed Benchaaboun qui, lui, s’est attelé avec clairvoyance et énergie aux mesures de relance nécessitées par la lutte contre la pandémie du Covid-19. C’est lui en effet qui, à travers le comité de veille économique (CVE), décidé par le Souverain, dès mars 2020, a pris en charge ce grand dossier. Il sera sans doute –au premier plan– appelé à reprendre du service actif dans le prochain cabinet.
Le PJD méconnaît, au fond, le monde de l’entreprise. Ses contraintes. Et ses lois. Il ne bénéficie pas d’une bonne cotation dans les milieux d’affaires et d’investissement. La réforme fiscale reste à la traîne, malgré des engagements autour d’une centaine de mesures arrêtées lors des troisièmes assises de la fiscalité au début de mai 2019. La Charte de l’investissement, pourtant prévue par la Constitution, n’a pas été finalisée. Des réformes comme celles du code pénal ou du code du travail et du droit de grève sont en instance au Parlement depuis 2016.
El Othmani et son parti ont épuisé depuis des années les chances d’une nouvelle dynamique lors de cette législature. Cette formation s’est «normalisée», mais sans entretenir une dynamique réformatrice continue. Elle est essoufflée, fourbue, ne pouvant plus rebondir pour une troisième législature. Sur le plan des valeurs, demeurent quelques références de son référentiel religieux traditionnel –surtout celui de 2011 et de 2016. Mais la vie publique est-elle plus morale comme cela était promis de manière incantatoire, voici quelques années? Personne ne peut sérieusement le croire. Même dans leur vie personnelle, des ministres et des députés PJD ont nourri la rubrique fait diversière –c’est connu… Le sentiment général est que ceux qui représentant les électeurs ou les citoyens sont devenus «statutaires»: ils veillent désormais –et de plus en plus– à leurs intérêts personnels après avoir investi le cadre institutionnel.
Le PJD aura été finalement une parenthèse décennale qui n’a que trop duré. Dans tous les cas de figure, après le 8 septembre, il restera un parti, légitime sans aucun doute, ayant sa place, mais pas un vecteur et un levier de changement. Dans l’opposition? Comme allié dans une nouvelle majorité? Mais alors en tant que supplétif…
L’alternance démocratique est en marche; elle est à l’ordre du jour. Aux électeurs de faire le bon choix!