Le nouveau gouvernement, investi en octobre dernier, se voit aujourd'hui confronté, entre autres, à un agenda particulier: celui de la célébration, ce 1er mai, de la Fête du Travail. Une échéance périodique qui permet traditionnellement de faire le point sur la situation des travailleurs, avec son lot d'acquis, d'avancées le cas échéant, mais aussi de dossiers en instance dans ce domaine. Qu'en est-il au vrai en cette occasion ?
Le rappel de l'historique des relations entre le chef de l'exécutif, Aziz Akhannouch, et les cinq organisations syndicales les plus représentatives aide à mieux appréhender une problématique volontiers présentée comme une priorité: celle du dialogue social. Voici quelques jours, le 27 avril, une réunion s'est tenue. Elle avait un ordre du jour portant sur la présentation des détails de l'offre gouvernementale. L'accord devait être signé trois jours plus tard, le samedi 30 avril.
Jusqu'à plus ample informé, l'accord s'articulerait autour des points suivants:
- Revalorisation du salaire actuel minimal des fonctionnaires (3000 DH) à hauteur de 3500 DH.
- Augmentation du SMIG de 10%, 5% le 1er septembre 2023 et les 5% restants une année plus tard. Mais pour le gouvernement, cette seconde hausse prévue en 2024 serait conditionnée par l'agrément des syndicats à approuver le projet de réforme du code du travail, notamment pour ce qui est du droit de grève et de l'institution de l’inflexibilité dans les contrats entre les entreprises et les travailleurs.
- Suppression de l’échelle 7 de certaines catégories de fonctionnaires.
- Baisse de l'impôt sur le revenu (IR) pour les fonctionnaires, les détails précis devant être finalisés.
- Baisse aussi du plafond de 3240 jours de jours travaillés requis actuellement à 1320 jours pour être éligible au régime de pension de la CNSS.
- Amélioration des allocations familiales pour le 3ème, 4e et 5e enfant de 30 DH à 100 DH. Il y a là de quoi s'interroger au passage parce que la transition démographique du Maroc fait que le taux de fécondité est en contraction constante: selon le HCP, ce taux est passé de 2,1% en 2003 à 1,9% en 2020 dans les zones urbaines alors qu'au cours de la même période, il est passé de 3% à 2,4% en milieu rural. Une mesure donc tout à fait marginale. Si l'exécutif en est soucieux, elle ne va pourtant bénéficier qu'à une toute petite partie de la population. Mais s'il entend promouvoir une nouvelle politique de natalité, l'impact est tout aussi modeste...
- Aucune mesure n'est cependant prévue pour les salaires des fonctionnaires, en attendant l'amélioration de la conjoncture économique actuelle.
Voici plus de six mois, Sa Majesté le Roi, devant le Parlement, avait insisté sur la nécessité d'un dialogue social institutionnel et continu. Dans son programme de gouvernement, le chef de l'exécutif avait ainsi fait part de la prise en compte de cette exigence. Il a fallu attendre les 24-25 février pour qu'une initiative soit prise dans ce sens. Il a ainsi été convenu que le gouvernement et les syndicats institutionnalisent la méthodologie du dialogue et œuvrent à lui assurer toutes les garanties de succès. Le communiqué du chef du gouvernement a précisé à cet égard que «l'objectif ultime est de déboucher sur des accords précis et réalistes».
De quoi parle-t-on donc? D'un format décliné comme suit: un comité consultatif présidé par le chef de l'exécutif, composé des secrétaires généraux des syndicats les plus représentatifs, de la CGEM et des ministres concernés; un comité tripartite chargé des dossiers majeurs; un comité du secteur privé, présidé par le ministre de l'inclusion sociale, Younès Sekkouri; un comité du secteur public avec à sa tête la ministre déléguée chargée de la Transition numérique, Ghita Mezzour; et un comité technique à mettre en place pour le suivi et l'opérationnalisation des accords.
Il a été aussi question, selon les annonces faites par Aziz Akhannouch, de l'intention du gouvernement de prendre des mesures concrètes pour préserver le pouvoir d'achat des citoyens et ce, à travers le soutien des secteurs productifs et des dialogues sectoriels dédiés. Un autre dossier a été aussi évoqué: celui d'amendements législatifs. Il s'agit en particulier du projet de loi organique sur le droit de grève, le projet de loi sur les organisations syndicales et les amendements à apporter au Code du Travail de février 2004.
A n'en pas douter, cette reprise du dialogue social depuis deux mois ne bénéficie pas d'un contexte favorable aujourd'hui: tant s'en faut. La pandémie Covid -19 depuis mars 2020 continue en effet de peser de tout son poids sur la situation économique et grève lourdement les finances publiques. S'y ajoute, en particulier depuis le 24 février dernier, le conflit Russie-Ukraine avec ses conséquences: l’envol du prix des hydrocarbures (pétrole et gaz), la flambée des prix de certains produits de base –l'Ukraine et la Russie étant pratiquement au premier rang des producteurs et exportateurs de blé. Enfin, la sécheresse de la campagne agricole actuelle avec une récolte médiocre de 40 millions de quintaux de céréales, même si les cultures printanières sont moins compromises par suite des pluies de mars-avril.
Conforter la paix sociale? Telle est la finalité du dialogue bipartite (syndicats, CGEM) élargi à l'Etat quand cela est nécessaire. Les procédures de conciliation dans les conflits individuels et collectifs doivent être suivies et soutenues. Dans cette perspective-là, nul doute que les conventions collectives constituent un cadre particulier. Davantage de contrôle dans le monde de l'entreprise: voilà une priorité.
Pour l'année précédente, pas moins de 284.631 observations ont été adressées aux employeurs –un progrès, assurément. Mais c'est dans le cadre des conventions collectives que l'on peut réellement trouver un «amortisseur» des tensions sociales. Qu'en est-il? Depuis 2017, 39 conventions ont été signées. En 2019, l'on a noté seulement une dizaine de nouvelles conventions. C'est ce mouvement de contractualisation qu'il faut consolider et élargir pour prévenir, ou à tout le moins réduire, l'ampleur et le coût des grèves et la perte de dizaines de millions de journées de travail. Il faut préciser que les trois causes principales de conflits entre les employeurs et les travailleurs sont celles-ci: le non-paiement des salaires, le licenciement, pas de protection sociale. Pour être plus précis et en affinant leur géographie territoriale, c'est la région de Rabat-Salé-Kénitra qui se classe au premier rang des conflits sociaux...
L'idée d'une charte nationale du dialogue social a été avancée devant préciser des principes et la dimension de ce nouveau cadre. Que fera-t-on, par ailleurs, des accords du 26 avril 2011 (cabinet Abbas El Fassi) et du 24 avril 2019 (Saâd-Eddine El Othmani) qui, aux yeux des syndicats, n'ont été que partiellement appliqués alors qu'ils ont été, lors de la décennie écoulée, une traduction d'une étape dans la recherche consensuelle d'un pacte social? Que devient la revendication historique des syndicats d'une «échelle mobile des salaires et des prix» alors qu'une forte tension inflationniste de l'ordre de 4-5% s'installe pour 2022?
Pourquoi pas, comme le propose l'UMT, une déclinaison différenciée des augmentations de salaire par secteur, là ou une croissance est en amélioration? Enfin, cette dernière problématique: élargir le dialogue social à des catégories telles que les sans-emploi, les retraités, les handicapés... «L'Etat social», c'est l'Etat de tous les citoyens et de toutes les catégories, pas seulement le périmètre des affiliés aux syndicats.