A 1a fin de ce premier trimestre 2022, quel est l'état des lieux pour le cabinet Akhannouch? Au plan diplomatique, le bilan est rayonnant, flamboyant même. Mais cet actif –sommet du Néguev à Tel-Aviv, visite du secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken, celle dans les prochains jours du Président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez–, ne lui est pas imputable: il relève des attributions et de l'action du roi Mohammed VI. Reste donc à se pencher sur la gestion et sur les politiques publiques.
Deux grosses interpellations se sont succédé à quatre semaines d'intervalle. La première a été celle du Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport publié le 9 février dernier, au titre de l'article IV, qui consacre cinq pages au Nouveau Modèle de Développement. La critique est sans nuances: tant s'en faut. Référence est faite au NMD avec une première appréciation pour les grandes réformes structurelles préconisées: l'amélioration de la compétitivité des entreprises, la gouvernance, la mobilisation du capital et l'édification d'une société davantage inclusive, sociale et solidaire. Mais elle est accompagnée d'une forte réserve sur les conditions d'application et de faisabilité de ce NMD. Une recommandation de prudence assortit cette interrogation: les moyens financiers de réalisation de tous ces objectifs ne sont pas là...
Le FMI considère que les besoins de financement appropriés qu'une trajectoire de croissance plus forte retenue (6 % en 2025 et au-delà jusqu'à 2035) commande des moyens de financement importants; et que les impacts qui en sont attendus restent «entourés d'une grande incertitude». Ce qui est en cause? La taille et le calendrier de cet impact global sur la croissance mais aussi la mobilisation des financements appropriés. Il faut y ajouter, dans cette même ligne, une double crainte: celle d'un déficit budgétaire qui ne pourra qu'accuser un fort creusement; et celui d'un endettement public pratiquement à la limite de la soutenabilité.
Comment y remédier? Par une grande réforme fiscale pouvant augmenter les recettes et en particulier l'impôt sur la fortune, sur les successions aussi, ainsi qu'une taxe carbone; par une rationalisation des dépenses publiques; et par une réforme de l'administration et en particulier du statut de la fonction publique de 1958. Un «totem» à déconstruire pour plus de flexibilité et de mobilité.
Ce rapport du FMI a été diversement accueilli tant par le gouvernement que dans les cercles économiques spécialisés. Du côté de l’exécutif –même si aucune réaction officielle n'a été exprimée– l'on reproche au Fonds de Washington une certaine forme de resucée des critiques des partis d’opposition –surtout l'USFP et le PPS– formulées lors de la discussion budgétaire du dernier trimestre 2021. Quant aux économistes, ils ont mis en avant le fait que l'approche du FMI restait sujette à caution. En d’autres termes, elle se base sur des termes de croissance laquelle doit engendrer le développement. Or, ce principe n'est pas vérifié comme l'attestent tous les «ajustements structurels» opérés dans le cadre des recommandations, et ce depuis des décennies.
Autre interrogation venant, elle, de la réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib, le 22 mars dernier. Pour le wali de la banque centrale, Abdellatif Jouahri, qui s'en est longuement expliqué, les incertitudes restent grandes quant aux projections macroéconomiques de l'année 2022. Le taux directeur est ainsi inchangé, à 1,5 %. L’inflation qui a été de 1,4 % en 2021, devrait ressortir à 4,7 % en 2022; la forte chute de la production céréalière sera de l'ordre de 25 millions de quintaux après celle de l'année précédente de 103 millions de quintaux; et, par suite, la croissance économique sera médiocre avec 0,7 % après un rebond de 7,3 % en 2021.
Des indicateurs au rouge, donc: déficit du compte courant qui se creuse à 5,5 % du PIB (après 2,6 %) en 2021; envol des importations (facture énergétique et produits agricoles, alimentaires et de consommations) de 15 %, moins que les exportations (12% ), tirées par le secteur automobile ainsi que par les phosphates et dérivés. A noter les transferts MRE (80 milliards de DH), après un niveau exceptionnel de 93 milliards de DH en 2021 et une reprise des flux IDE après une hausse de 20 % en 2021, soit 20 milliards de DH. Quant aux réserves de change, elles sont aujourd'hui confortables, avec des avoirs se situant à 342 milliards de DH, assurant ainsi une couverture de l'ordre de 6 mois et demi d'importations de biens et de services.
Cela dit, sur la base de toutes ces données, quelle est la marge de manœuvre du gouvernement? Il faut bien mettre en œuvre les grands chantiers prévus, tel celui de la protection sociale; il convient également de continuer à soutenir l'économie nationale. Le HCP précise à ce égard qu'une telle orientation est combinée à une augmentation des dépenses d'investissement (+ 7,2 %) et des dépenses ordinaires incompressibles (27 % du PIB) liées, elles, à la hausse des dépenses de la masse salariale (+12 %) et des autres biens et services ( + 6 %).
Dans ses projections 2022, le gouvernement a retenu un taux d'endettement du Trésor de 78,5 % du PIB, 60 % pour la dette intérieure et 18,5 % de celle extérieure. Le taux d'endettement public global –y compris celui des établissements et entreprises publiques (EEP) garanties par l'Etat– devrait se stabiliser autour de 93,2 % en 2022, soit trois points de plus qu'en 2021 (90,3 %). Un tel chiffre traduit-il le seuil soutenable? Au-delà, la capacité de remboursement serait-elle assurée? En tout cas, ce taux d'endettement n'a fait qu'augmenter depuis une bonne dizaine d'années en grimpant de 49 % en 2010 à 76,1 % en 2020, comme l'a d'ailleurs relevé la Banque africaine du développement dans son dernier rapport –une tendance qui se retrouve d'ailleurs en Algérie (10 % - 53 % du PIB), en Egypte (44 % - 60 %), en Tunisie (40 % - 87 %).
L’on a affaire, ici, à des données conjoncturelles; elles ne peuvent que peser sur celles structurelles inscrites dans les axes stratégiques du Nouveau Modèle de Développement. Le défi est bien là: comment faire face à la présente conjoncture tout en empruntant, résolument, les grandes réformes à entreprendre pour 2023 et au-delà? Dans l'agenda de la session parlementaire de printemps, ouverte le prochain vendredi 8 avril, qu’y a-t-il sur la table?
Il faut passer sur la refonte du règlement intérieur de la Chambre des représentants et s'attacher au «dur». Surtout, le texte relatif à l'instauration du Registre national agricole –avec l'octroi d'un identifiant numérique ne pouvant que favoriser l'accès aux programmes de développement et d'investissement; celui du Conseil de la concurrence qui va renforcer la réglementation des conflits d'intérêts et les attributions de ce régulateur; celui encore sur l'autoproduction de l'électricité à base de ressources renouvelables. Et puis tant d’autres, encore en instance: code pénal et procédure pénale, professions judiciaires (avocats, notaires, huissiers), code de l'enfant….
Reprendre la main, tel est le souci. Les politiques publiques doivent imprimer une nouvelle marque, allant au-delà de la «gestion». La présente conjoncture du fait de la conjonction de facteurs exogènes et endogènes (l’après-Covid-19, une mauvaise campagne céréalière) n'est pas sans doute la meilleure qui soit pour un gouvernement investi voici six mois à peine. Mais elle doit être enjambée pour s'atteler à une forte dose de volontarisme réformateur. Le RNI, dont le président n'est autre que l'actuel chef du gouvernement, avait fondé son programme électoral sur ce thème «La Voie de la confiance». Il lui revient de faire la preuve que ce n'est pas une posture préélectorale, qu'elle prend en charge, même à marche forcée, un véritable projet de société, et que les axes stratégiques et les leviers de changement sont là –le Nouveau Modèle de Développement.
La recette? Porter les réformes. Et les incarner.