Dans une autre vie, pourrait-on dire, l'Algérie avait une forte visibilité internationale. Dans le non-alignement, dans la recherche et illustration d’un nouvel ordre international, dans une approche tiers-mondiste et progressiste, nul doute qu'elle avait eu un rôle. C’était un autre temps : ce capital-là a fondu tel un émollient au sens médical du terme jusqu'à devenir ce qu'il est devenu aujourd'hui.
L'état des lieux en témoigne à l'envi: la voix de sa diplomatie est à la peine, jusqu'à ne plus imprimer dans quelque domaine que ce soit. Dans quels grands dossiers ce pays se distingue-t-il? Les grandes problématiques internationales, telles le changement climatique, l'environnement, les énergies renouvelables, l'accès à une économie du savoir, etc. Pas le moins du monde! Sur les conflits persistants dans le monde comme celui du Proche-Orient, la diplomatie algérienne n'est pas davantage audible, s'en tenant à une rhétorique conventionnelle sur la question palestinienne. Ailleurs, elle n’œuvre pas davantage par quelque «activisme» unitaire ou de solidarité (Liban, Irak, pays du Golfe). En Afrique, elle ne prend en fait qu'un dossier: celui du mouvement séparatiste. En Méditerranée, elle n'est pas non plus en première ligne alors que son littoral dépasse les 1.600 km et qu'elle prônait, dans le temps, le codéveloppement entre les deux rives.
De fait, à quoi tient cet affaissement? A plusieurs facteurs cumulatifs. Le premier d'entre eux a trait aux compétences qui accusent depuis des lustres des insuffisances. Il y a eu une génération de diplomates justifiant d'une expérience et d'un parcours lors des précédentes décennies. Celle-ci n'est plus pratiquement en responsabilité ; lui a succédé une nouvelle, par touches successives, gérant des carrières, recrutée et promue par des clans.
Un deuxième facteur concerne, lui, l'impulsion et la mise en œuvre de la diplomatie. Depuis l'AVC qu'il a eu en avril 2013, le défunt président Abdelaziz Bouteflika n'avait plus la santé pour suivre et conforter la position de son pays dans un environnement international accusant bien des bouchements et des crises. Durant la décennie écoulée (2013-2022), pas moins de cinq changements ont marqué le ministère des Affaires étrangères : Ramtane Lamamra (septembre 2013-mai 2017), Abdelkader Messahel (mai 2017-mars 2019) puis Ramtane Lamamra (mars 2019-avril 2019) et sa nouvelle nomination depuis juillet 2021 après Sabri Boukadoum (avril 2019-juillet 2021). C’est le signe d'une gouvernance heurtée à la tête de la diplomatie.
Enfin, un dernier facteur n'est pas à ignorer: celui des changements intervenus dans les périmètres traditionnels de cette politique étrangère. Dans le continent, l'Algérie n'a plus la même influence qu'elle avait durant les dernières décennies du siècle dernier et celle qui a suivi. Son «réseau» s'articulait alors autour de l'Afrique du Sud, du Nigéria, de l'Angola, de la Namibie, le Mozambique et moins fortement sur l'Ethiopie et le Kenya. Elle avait également en mains un dispositif de premier plan avec le Conseil de paix et de sécurité. Créé en 2002, c'est un organe décisionnel permanent de l'Union africaine pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Il a été présidé par l'Algérien Smaïl Chergui pour deux mandats (2013-2017 et 2017-2021). C'est le diplomate nigérian Bankole Adeyole qui lui a succédé en février 2021.
Le Maroc, après sa réintégration à l'UA à la fin janvier 2017, a été pour sa part élu pour un mandat de deux ans (2018-2020) puis pour un autre de trois ans en février 2022 avec les voix de plus des deux tiers des membres de cette organisation continentale. Rabat y œuvre pour une nouvelle gouvernance, constructive, avec des méthodes de travail améliorées et l'instauration de bonnes pratiques. En d'autres termes, il s'agit d'activer une diplomatie préventive, de paix et de stabilité bien distincte de l'inféodation du CSP à des desseins interventionnistes et hégémoniques de l'Algérie. Un nouveau souffle. Et un élan à donner à l'action de ce comité expurgé de contraintes éloignées des réels intérêts collectifs du continent.
La perte d'influence d'Alger se vérifie, par ailleurs, dans d'autres domaines. Ainsi, au 31ème sommet de l'UA à Nouakchott (1-2 juillet 2018) a été adoptée la décision 693 confiant exclusivement la recherche d'un règlement de la question du Sahara aux Nations Unies. Il a été prévu une Troïka pour apporter son soutien à ce processus onusien. Malgré la persistance des manœuvres et d'irrégularités de l'Algérie - telles celles lors de la réunion du CPS en mars 2021 - 1a majorité des membres de l'UA ainsi que la Commission de l'UA restent fidèles à la légalité et à la légitimité et ce, en défendant la validité et la pertinence de ladite décision. A la mi-juillet dernier, à la 41ème session du conseil exécutif de l’UA à Lusaka, les membres ont choisi avec 47 voix le Rwanda pour abriter le siège de l’Agence africaine du médicament, l’Algérie n’ayant obtenu que 8 voix. Une déroute…
Dans le système onusien, l'Algérie enregistre des échecs cumulatifs. La candidature de Ramtane Lamamra (alors ancien ministre des Affaires étrangères) comme émissaire du Secrétaire général de l'ONU en Libye a été rejetée par le Conseil de sécurité en avril 2020. Revenu à la tête de la diplomatie en juillet 2021, il n'a pas eu la main plus heureuse en proposant à la même mission Sabri Boukadoum. Les Etats-Unis s'y sont opposés de nouveau, prenant en compte la position de pays comme l'Egypte et les Emirats Arabes Unis. Il faut y voir la conséquence des liens d'Alger avec le gouvernement de Tripoli…
Dans ce même registre de l'Organisation mondiale, il vaut de relever que l'Algérie s'est placée en dehors des résolutions du Conseil de sécurité sur la question du Sahara. Elle s'est retirée du processus consacré de nouveau par la Résolution du Conseil de sécurité en date du 29 octobre 2021: prévalence de l'initiative marocaine d'autonomie qualifiée de «sérieuse, crédible et réaliste» depuis avril 2007, format de négociations sur la base d'une table ronde de quatre parties (Maroc, Algérie, Mauritanie et mouvement séparatiste) dont deux éditions ont déjà eu lieu en décembre 2018 et mars 2019 en Suisse, respect du cessez-le-feu. Or, l'Algérie continue à mobiliser son appareil diplomatique autour de la cause séparatiste. Et la nouvelle dynamique de la question nationale depuis près de deux ans traduit bien l'échec continu de 1a diplomatie du pays voisin.
Après la reconnaissance américaine de la marocanité des provinces sahariennes en décembre 2020, il faut mettre en exergue aussi les nouvelles positions de puissances et de pays depuis janvier 2022: Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Serbie, Hongrie, Chypre, Roumanie. Parallèlement à ce soutien, il faut mentionner que près d'une trentaine de pays ont ouvert des consulats dans les provinces sahariennes (quinze à Dakhla et 12 à Laâyoune). D'ailleurs, il est prévu une réunion ministérielle de ces mêmes pays, les 18-19 septembre courant, à Dakhla, pour conforter et dynamiser la dynamique actuelle.
L'agenda est intéressant à rappeler: il se situe au début de l'ouverture de la nouvelle session de l'Assemblée générale des Nations Unies ouverte officiellement le 16 septembre. De plus, avec le mois d'octobre, la question nationale sera de nouveau inscrite à l'ordre du jour du Conseil de sécurité.
Quelle sera alors la position de l'Algérie? Jusqu'à présent, elle rejette la Résolution d'octobre 2021 la jugeant «obsolète» et «contre productive». Si elle persiste dans cette voie, elle accentuera son isolement. Elle tente aujourd'hui de reprendre la main au Mali et au Sahel. Ses rapports avec l'Egypte se sont détériorés par suite de l'approche de la situation en Libye et du soutien apporté à l'Ethiopie à propos du Nil (barrage la Renaissance).
Le Sommet arabe prévu le 1er novembre prochain à Alger, sur lequel compte beaucoup le Président Tebboune, ne se présente pas sous les meilleurs auspices: tant s'en faut. Ce qui s'est passé à Tunis, la semaine dernière, avec la TICAD 8, témoigne d'une diplomatie qui divise, qui polarise le continent sur la base de la seule hostilité à l'endroit du Maroc. Pas un gage de stabilité ni de cohérence surtout que la situation intérieure est fortement minée par les purges au sein des généraux, les règlements de comptes, une impasse politique et démocratique et un bilan économique et social nourrissant de fortes hypothèques à terme.