Lors d’une réunion avec le Roi Hassan II en mars 1979, Ahmed Osman, alors Premier ministre, confronté à un climat social détérioré et à des grèves, s’était risqué à ce constat: «Le pays n’est pas gouverné». Ce qui lui valut cette ferme réplique royale: «Non, le pays est gouverné mais mal dirigé, et cela vous est imputable...». Deux jours plus tard, Me. Maati Bouabid, alors ministre de la Justice et personnalité de l’UNFP -il avait été membre du gouvernement Abdallah Ibrahim (décembre 1958-mai 1960)-, est nommé chef de l’exécutif.
«Gérer» donc: voilà la première tâche d’un gouvernement; mieux gérer surtout. A-t-on initié et engrangé de grandes avancées dans ce domaine? Le débat national n’est plus articulé, comme lors des décennies 70 et 80, par tel ou tel référentiel idéologique, notamment entre le programme socialiste d’un côté et le semi-libéral de l’autre. D’une autre manière, le mouvement progressiste national ne proclame plus l’option de l’alternative (USFP) ni celle de la Révolution nationale démocratique (PPS).
Avec le cabinet El Youssoufi, en 1998, a fini par prévaloir une formule de compromis historique: celle de l’alternance consensuelle. Si bien que depuis plus de quatre décennies, un tronc commun de réformes à faire a fini par rallier les uns et les autres. Des inflexions particulières ont marqué l’historique des six cabinets qui se sont succédé. Sauf à ajouter qu’un grand pan a été ajouté aux politiques publiques par SM le Roi avec, en particulier depuis deux ans, la protection médicale et sociale dans une perspective: l’Etat social.
Les ressources budgétaires sont limitées. Il importe donc de faire ce qui doit être fait pour mieux gérer les deniers publics et trouver des financements dits innovants. Une terminologie encore vague, par trop généraliste, qui appelle en tout cas un management public revu et corrigé. Il ne s’agit pas d’on ne sait trop quelle privatisation -sous une forme ou une autre- ou encore de «marchandisation» des administrations et du secteur public, mais d’autre chose: une revitalisation des politiques et de l’action publiques. Repenser donc la conception et la mise en œuvre des processus de finalisation, d’organisation, d’animation et de contrôle des unités du secteur public. Quels enjeux? Quel sens? Et quels contours? Cela fait des lustres que le discours gouvernemental y fait référence: où en est-on en 2023? Quels processus de management pour les organisations publiques?
Pas besoin de grands cabinets internationaux pour en appréhender la nature et la dimension. Les notions clés qui sont autant de pistes sont connues: évaluation, pilotage, efficience, efficacité, qualité. Des facettes multiples de la gestion et du management à étudier sur la base d’une perspective: celle de la logique des «fonctions» (finances, marketing, gestion des ressources humaines, fonction production); et celle de la logique des «process» (finalisation, organisation, animation, contrôle). Mais il y a plus encore: la nécessité de prendre en compte l’approche stratégique, transversale, notamment avec le thème du «projet» (de service, d’établissement, d’administration, etc.). Sans oublier différentes formes de mise en relation des parties impliquées.
Cela dit, quels que soient les enseignements des multiples théories sur le management, il importe de ne pas évacuer les spécificités du management public. Culturellement, le sentiment général est rétif au changement et à la réforme aussi d’ailleurs. Sur le papier, pourrait-on dire, tout le monde -citoyens, administrés, agents économiques, catégories professionnelles- appelle… au changement. Mais comment le faire si les conditions requises pour un véritable management public ne sont pas réunies? Or, celles-ci requièrent une réallocation des ressources et le souci de leur efficience optimale, des coupes dans certains budgets, dotations et subventions; des coups de «rabot» pour reprendre un vocabulaire moins rude et plus aseptisé. Là, la difficulté se présente: par quoi commencer? Les uns, souvent tonitruants en la matière, se mobilisent dès que l’on propose une mise à plat de leurs statuts: ils résistent, ils manifestent –un «activisme» souvent pris en charge par des organisations syndicales promptes à agréger un mouvement social. Avec les réseaux sociaux, la dynamique contestataire s’élargit et peut même prendre une dimension virale.
Le pouvoir d’achat des ménages est en principe au centre des préoccupations du gouvernement: qui y serait hostile? Mais en même temps, tant de facteurs endogènes couplés à d’autres exogènes limitent fortement les marges de manœuvre budgétaires. Des réformes pourtant indispensables trainent et ne font l’objet que de mesurettes. Qui pourra dégraisser la masse des 565.000 fonctionnaires civils et quelque 300.000 agents territoriaux? Qui mettra en œuvre une vision stratégique d’un nouveau modèle de la fonction publique (nouvelle grille de salaires, réévaluation des promotions et grades, statut des fonctionnaires)? Le statut général de 1958 n’est-il pas un «totem» pratiquement sacro-saint? Il génère des charges lourdes et le budget de fonctionnement pèse pour 12% du PIB, le taux le plus élevé de la région MENA.
Bilan de compétences, fin de l’avancement et de la promotion à l’ancienneté, contractualisation (même partielle) de certaines catégories de fonctionnaires: autant de pistes de restructuration pouvant traduire une réelle volonté de réforme managériale du secteur public. L’agence nouvellement créée dédiée à une réarticulation stratégique du secteur public et semi-public est une première réponse; elle répond à un souci d’efficience et d’optimisation des fonds publics dans la perspective d’un recadrage stratégique de la place et du rôle de l’Etat. Cela suffit-il pour autant?
La digitalisation offre un champ de modernisation et de meilleur rendement de l’administration et, partant, des politiques publiques. La dialectique du changement oscille toujours entre les facteurs de résistance et des leviers de changement: le développement des technologies de l’information et de la communication, la refonte des processus comptables et budgétaires, les dispositifs de gouvernance, les procédures et les mécanismes de démocratie locale et régionale participative, la redistribution des attributions et des compétences: autant de préoccupations devant être au centre de la décentralisation et de la transversalité des services publics. Une politique à coupler à la recherche de la valorisation des ressources humaines. Des enjeux auxquels il faut ajouter tout ce qui a trait aux questions écologiques et énergétiques, aux approches sanitaires globales -remises au premier plan avec la pandémie de Covid-19-, à la transformation numérique et même à terme aux défis de l’intelligence artificielle... Une mise en cohérence est à l’ordre du jour dans les multiples domaines couvrant le management public.
Les logiques gestionnaires et managériales ont fini par prendre leur place dans le débat national. Le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement (NMD) publié en juin 2021 -mais qui y fait encore référence?- a contribué à nourrir une réflexion collective dans ces domaines. Des méthodes comme la rationalisation des choix budgétaires et la direction par objectifs participent de cette approche. La notion de «l’administration-entreprise» se développe, traduisant une évolution significative en la matière.
La mise en œuvre des réformes de l’action publique doit être élargie et accentuée pour faire face à des défis sociétaux dans au moins trois domaines majeurs: l’assainissement budgétaire et la recherche de gains d’efficacité (e-administration, partenariat public/privé, externalisations ); le renforcement des capacités stratégiques (optique pluriannuelle, visions à long terme, dynamisation de la gestion des ressources humaines, simplification administrative); une transparence et une responsabilisation élevées (développement des formes d’open government, consultations, débat). Une ambition à prioriser: considérer le management public au final comme le «management du collectif» -un vivre ensemble dans la sphère publique...