Un drame, bien sûr. Dès le lendemain de cette tragédie, le vendredi 24 juin, l’ambassadrice du Maroc en Espagne, Karima Benyaich, a déploré celle-ci et mis en cause les réseaux mafieux. Le même jour, le chef de l’exécutif espagnol, Pedro Sanchez, les a également dénoncés. Mais qu’on est-il des facteurs qui ont conduit à une telle situation avec ce bilan : 23 migrants morts, 76 blessés et... 140 du côté des forces de l'ordre marocaines?
Des réactions ont eu lieu. Au Maroc, le vendredi 1er juillet, des dizaines de manifestants se sont regroupés devant le Parlement, à Madrid et à Barcelone aussi.
A l'international, les prises de position n'ont pas manqué non plus. Le président de la Commission de l'Union africaine -UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a exprimé sa «profonde émotion face au traitement violent et dégradant de migrants africains cherchant à traverser une frontière internationale entre le Maroc et l’Espagne». Il a plaidé «pour une enquête immédiate». Dans cette même ligne, le parquet général espagnol a ouvert une information judiciaire sur «la gravité des faits survenus, qui pourraient affecter les droits humains et les droits fondamentaux des personnes».
Une proposition reprise aussi au Maroc avec l'Association marocaine des droits humains (AMDH). A l'ONU, enfin, le Kenya, membre non permanent du Conseil de sécurité, a demandé une réunion à huis clos du Conseil de sécurité le mercredi 29 juin. Les débats n'ont pas conduit à une position commune par suite de divergences au sein de cette haute instance onusienne, notamment pour ce qui est des Etats Unis et de deux pays africains membres, le Gabon et le Ghana.
Cela dit, il vaut d'aller au-delà de cette tragédie et de s'interroger sur les conditions qui ont conduit à ce que quelque 2.000 migrants africains ont essayé de pénétrer avec violence dans cette enclave espagnole. Qui sont-ils d'abord? Originaires de l'Afrique subsaharienne, oui sans doute. Mais il faut affiner.
Ainsi, la majorité d'entre eux sont originaires du Soudan. La route empruntée est celle dite de la «piste centrale», les deux autres -orientale et occidentale- étant de plus en plus contrôlées par des dispositifs sécuritaires. De plus, elle est la plus «économique» avec des prix low cost par rapport aux deux autres.
Enfin, les réseaux mafieux y bénéficient d'un relationnel laxiste du côté des autorités des pays de transite. Lesquelles? Il faut bien le dire: c'est l'Algérie!
Des vidéos qui tournent ces jours-ci témoignent par exemple du passage de ces migrants par les camps de... Tindouf, à travers les routes Soudan-Tchad, Niger. D'autres flux émanent de la Libye, ce pays partageant avec l'Algérie une frontière commune de 982 kilomètres. Est-elle totalement sécurisée?
Personne ne peut le croire, ne serait-ce que par suite de la crise politique durable que connaît la Libye depuis une bonne dizaines d'années…
Ce qui frappe aussi dans la tragédie de Melilia, c'est le caractère paramilitaire qu'elle a présenté par de multiples aspects: un encadrement de 2.000 migrants, le laxisme coupable d'Alger qui a pratiquement laissé passer ces migrants; la préparation de l'opération avec des armes par destination, des crochets, sans parler de la violence des affrontements avec les forces de l'ordre marocaine. Qu'il y ait eu, rappelons-le, 140 blessés parmi celles-ci témoigne bien qu'elles ont dû faire face à une situation exceptionnelle. Quant aux migrants blessés, une partie d'entre eux a été victime des barbelés qui entourent le poste-frontière de Barrio Chino, au sud de la clôture. Les bousculades participent aussi de ce bilan, la clôture étant haute de 6 mètres et surmontée de barbelés.
Les 65 migrants poursuivis par la justice marocaine relèvent de deux qualifications pénales: l'une vise 37 d'entre eux pour «entrée illégale sur le sol marocain», «violence contre agents de la force publique», «attroupement armé» et «refus d’obtempérer»; l’autre intéresse 28 migrants jugés pour «participation à une bande criminelle en vue d'organiser et de faciliter l'immigration clandestine à l’étranger».
Préparée de longue main par l'Algérie, c'est la première fois que la migration dans le continent et même ailleurs atteint ce niveau de violence et de militarisation. Ce pays se veut le défenseur de ces migrants à l'international en proclamant à l'envi que c'est le Maroc qui doit être dénoncé et voir sa responsabilité reconnue. De quoi parle-t-il? N'est-ce pas en effet ce voisin de l'est qui s'est toujours distingué par une «chasse» aux migrants subsahariens, victimes de rafles et déplacés manu militari au fin fond su Sahara vers les pays frontaliers (Mali, Niger). C'est dire qu’Alger fait un bien mauvais procès, irrecevable et même indigne, au Royaume qui, lui, a mis en œuvre une véritable stratégie en faveur des migrants: régularisation de la situation de plus de 50.000 personnes, mobilisation pour conforter les droits des centaines de milliers d'entre eux tant en Afrique qu'en Europe, secours par la Marine royale de près de 15.000 personnes en mer en 2021 et de 2.384 pour les cinq premiers mois de 2022.
Le Maroc considère et soutient que la migration ne doit pas être appréhendée sous le seul angle sécuritaire et qu'elle doit faire l'approche d'une approche globale qui implique au premier chef l’Union européenne. L'aide de l'UE dans ce domaine a été de l'ordre de 270 millions d'euros pour la période 2007-2021. Le Royaume, lui, dépense annuellement quelque 5 milliards de DH pour lutter contre l'immigration illégale vers l'Europe. Où est le partenariat? Le Maroc déploie un effort exceptionnel pour la sécurisation et le contrôle de ce phénomène: échec de de plus de 360.000 tentatives de migration illégale depuis 2017 (63.000 en 2021 et 26.000 en 2022), 1.300 réseaux démantelés pour les cinq années écoulées. Une grande mobilisation donc, couvrant les 3.500 km de côtes maritimes et 3.400 kilomètres de frontières terrestres. Tout cela doit être, de nouveau, être mis au net. L'Algérie peut-elle exciper d'un tel bilan? Et d'une telle politique? Pas le moins du monde: elle a voulu, en l'espèce, porter atteinte au Maroc –dans la continuité obstinée de son hostilité- et en même temps à l'Espagne, depuis la nouvelle position de ce pays sur la question nationale du Sahara marocain...
Le président Tebboune a fait du slogan «L'Algérie nouvelle» le thème central de son mandat. Sombre bilan au vu de l'état des lieux: un échec politique, un sinistre démocratique et une économie exsangue. Une piètre diplomatie aussi. Ainsi l'ancien ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum a été récusé, ces jours-ci, par le Conseil de sécurité comme émissaire de l'ONU en Libye, alors que la mission onusienne dans ce pays, la MANUL, achève son mandat le 31 juillet. Voici deux ans, en avril 2020, une récusation identique à ce même poste avait frappé son successeur à la tête de la diplomatie, Ramtane Lamamra... Message reçu? Apparemment pas...