Ce qui devait être un repos pour l’esprit après une dure journée de travail devint cependant très rapidement une source d’inspiration à caractère géopolitique, tant certains évènements de la série culte (inspirée de l’œuvre de George R. R. Martin) ressemblent étrangement à l’actualité internationale contemporaine.
Le continent de Westeros est à feu à sang, l’unité des Sept Couronnes vole en éclat un peu à l’image de l’hégémonie américaine et de l’ordre mondial hérité de la fin de l’Union soviétique, et le Nord (la Russie peut-être) se révolte contre Port-Réal (Washington?), dirigée par les Lanister dont l’arrogance, la richesse et le machiavélisme ne sont pas sans nous rappeler la suffisance de l’empire américain et de son élite. Il ne manque plus que les dragons (la Chine?) pour compléter le tableau.
La comparaison s’arrête ici, car le risque de spoiler devient imminent, bien que d’autres parallèles puissent être établis.
C’est là toute la magie des dystopies et des récits légendaires: pouvoir combiner la richesse de l’imaginaire avec une dimension visionnaire. Car au fond, il y a 5.000 ans ou aujourd’hui, l’homme est au fond toujours le même, porteur des mêmes désirs, folies, hybris et intrigues.
Quant à l’hiver prochain, il sera a priori particulièrement rude pour nos voisins du nord, qui se voient invités par leurs chefs d’Etat à se préparer à réduire leur chauffage, à porter des tricots chez eux, et à subir des coupures d’électricité.
Mais cet hiver semble être d’ores et déjà précédé par la pire sécheresse que l’Europe ait connue depuis cinq siècles. Les «pierres de la faim» sont réapparues sur les rives de l’Elbe et du Rhin, révélant des inscriptions datant de plusieurs siècles, dont une particulièrement apocalyptique qui dit «si vous me voyez, commencez à pleurer».
Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de ces pierres, les «hungersteins» en allemand, elles ont servi de par l’Histoire, depuis le Moyen Age, à signaler de grandes décrues des grands fleuves qui doivent être interprétées comme annonciatrices de grave sécheresses et de famines. Elles apparaissent en moyenne une fois par siècle. Mais cette fois, elles sont apparues deux fois en moins de 5 ans. En 2018 et maintenant en 2022.
Dans une perspective tout aussi eschatologique, Macron annonce aux Français qu’ils doivent se préparer à payer le prix de la liberté. Ce prix-là, les gilets jaunes éborgnés et rendus manchots par la police française en savent quelque chose. Ce prix-là, l’Irak, la Libye et l’Afghanistan le connaissent aussi très bien. La liberté de mourir sous les bombes et dans des attentats quotidiens, et de vivre sous le joug d’une occupation étrangère ou dans une anarchie totale.
Cela me fait penser à l’histoire d’un journaliste américain qui demanda à un ouvrier allemand au début des années 1930 comment il a pu troquer sa liberté contre une promesse d’ordre en votant pour le parti nazi. L’ouvrier répondit: «La liberté de mourir de faim, je vous la laisse Monsieur.»
Le refus de respecter la souveraineté civilisationnelle des cultures, leurs temporalités et mouvements profonds, ne fait que hâter le déclin de l’Occident. Cela me fait penser à l’excellent livre d’Hervé Kempf intitulé «Fin de l’Occident, naissance du monde».
Des bouleversements de ce genre, le monde en a connu et en connaîtra encore. Nul besoin de sombrer dans un quelconque millénarisme. Car toute restructuration de l’ordre mondial implique des mouvements tectoniques à l’image des plaques continentales, avec tous les séismes et cataclysmes naturels qui les accompagnent. La lecture de Fernand Braudel, celle du temps long et des grands espaces, est salutaire pour la compréhension des grands changements actuels.
A chaque fois, il s’agit bien de la fin d’un monde, et non du monde. Et chaque hiver géopolitique est précédé par un hiver spirituel et métaphysique. En attendant l’avènement d’un nouvel ordre, nous avons tout intérêt à maintenir cet équilibre diplomatique qui nous sied à merveille, le temps de pouvoir y voir plus clairement.
Car le grand «Sud géopolitique», pour reprendre l’expression de Jacques Sapir, semble déterminé à prendre sa revanche et en a désormais les moyens. Oswald Spengler disait à juste titre que «la vertu des peuples vaincus, c’est la patience».