Rassurez-vous, je ne fais pas une rechute dans le gauchisme militant de mes années estudiantines– ah, les «tous à la Mutu!» pour aller à la Maison de la Mutualité, à Paris, écouter un ténor de la contestation sociale ou politique… ah, les défilés du 1er Mai, de la place de la Nation à celle de la République… Et puis un certain 10 Mai '81, sous la pluie, place de la Bastille…
Le peuple, dans le titre ci-dessus, ce n’est pas les damnés de la Terre de L’Internationale, ni «les pauvres, les exténués/qui aspirent à vivre libres» d’Emma Lazarus.
Le peuple, ici, c’est vous et moi, tout simplement.
Et loin de la Mutu ou de la Bastille, ce que je vais vous narrer se déroule dans une ville paisible des R’hamna nommée Benguerir, ville chère à mon cœur pour diverses raisons, la moindre n’étant pas qu’on y trouve une étonnante concentration de matière grise.
Donc, l’autre jour, après avoir nourri un chat errant, me voici en quête de nourriture pour ma propre personne. Je fais la tournée des épiceries circonvoisines. Mes exigences sont modestes: je ne réclame pas du foie gras, un aileron de requin ou du lièvre à la royale, non: je cherche du lait, du pain, du beurre et du jus d’orange.
Ce n’est pas trop demander, non?
Eh bien, si. C’est demander la lune, en fait.
A Benguerir, les épiciers sont serviables et avenants. Ils vous donnent de l'oustad ou du ch’rif long comme le bras et se mettent en quatre pour satisfaire vos désirs. Mais, de même que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, le hanout des R’hamna ne peut vendre que ce qu’il stocke.
Et voici le lamentable résultat: tous les prétendus jus d’orange sont en fait des liquides bourrés de sucre, de conservateurs et de colorants; le pain, c’est du pain blanc, celui qui abîme le colon; le beurre, c’est en fait de la margarine (c’est écrit dessus: beurre d’origine végétale); le lait est rarement frais: si on ne fait pas attention, on se retrouve avec du lait pasteurisé longue conservation, avec son goût douceâtre et légèrement écoeurant, et qui date peut-être de l’année du typhus.
Attendez, les gars, ce n’est pas nous qui produisons des oranges délicieuses qu’on retrouve dans le monde entier? Ce n’est pas nous qui confectionnions à la maison du pain nourrissant qu’on emmenait cuire au four du quartier? Et depuis quand la margarine est-elle devenue du beurre? (Un moul l’hanout m’a dit texto: «c’est la même chose.»)
Quand au lait frais, je vois parfois dans nos champs des vaches holstein ou frisonnes –ces immigrées-là sont les bienvenues–, mais où passe leur production?
Et ne parlons pas du faux chocolat (de la graisse peinte en marron et saturée de sucre), des friandises chimiques et d’autres rancissures probablement radioactives et qui n’ont que des rapports très distants avec la diététique.
Bref, dans un pays où l’on devrait pouvoir se nourrir sainement, les épiceries sont bourrées d’armes de destruction massive de notre santé.
Vous trouvez ça normal? Moi non plus.
Et si nos gouvernants lançaient un grand programme d’intérêt public avec un nom-programme genre «nourrissons le peuple» (li-nat‘am ach-cha‘b), avec campagnes d’information («le sucre est un poison», «le pain blanc est dangereux», etc.), interdiction des jus d’orange sans orange, rééducation des moul l’hanout dans des camps spécialisés (on répète après moi: «la margarine n’est pas du beurre»…)?
Lançons ici, en bas de ce billet, une pétition en ce sens.Vous signez?