La belle blonde, l’imam et tous nos préjugés

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ChroniqueJe me promis de ne plus jamais imputer aux autres des préjugés qu’ils n’ont pas forcément.

Le 13/11/2019 à 11h01

On a parlé dans ces colonnes, il y a quinze jours, de la grande réunion des Marocains des Pays-Bas qui a eu lieu au Holiday Inn de Leyde samedi 26 octobre. Ce fut là qu’un cardiologue me raconta une histoire extraordinaire que je m’empressai de partager avec vous (voir Salim, ou le pacemaker de la paix).

Mais ce ne fut pas la seule. Au cours d’un débat auquel j’avais pris part, l’une des participantes, Chantal Suissa, nous régala d’une anecdote aussi amusante qu’instructive. Je la raconte avec son autorisation.

Chantal est une belle blonde d’Utrecht, juive aux origines marocaines auxquelles elle tient beaucoup. Elle est très engagée dans le dialogue entre les cultures et les religions et ne rate aucune réunion de Marocains ni aucun débat. Voici ce qu’elle nous raconta:

“J’étais dernièrement à La Haye pour faire des emplettes dans la très chic Maison de Bonneterie– en français dans le texte. J’en sortis avec un grand sac estampillé du nom de la maison et rempli de belles choses. En me dirigeant vers la gare, je m'aperçus que sur l’autre trottoir, au loin, marchait l’imam N., avec lequel j’entretiens des relations très cordiales– nous faisons partie du même groupe de travail sur les relations entre Juifs et musulmans. Sans doute se dirigeait-il aussi vers la gare.

J’eus honte de mon grand sac qui ne pouvait que confirmer les préjugés de l’imam. Tout d’abord, seule une grande bourgeoise pouvait prendre la peine d’aller jusqu'à La Haye pour acheter du linge dans un endroit aussi sélect. D’autre part, il y avait des soldes (-70%) et sans doute ce détail allait-il renforcer un autre préjugé– la juive près de ses sous. Bref, prise de panique, je me cachai derrière un abribus, attendant que l’orage passe– enfin, je veux dire: que l’homme de Dieu passe.

Au bout de quelques minutes, je sentis un doigt discret tapoter mon épaule. Je me retournai. L’imam était devant moi, tout sourire. Il me dit:

– Je vois que nous avons eu la même idée!

Et il m’indiqua du menton les deux sacs qu’il portait et sur lesquels s’étalait le sigle Maison de Bonneterie. Il ajouta, ravi:

– Quelle aubaine, hein, cette remise de 70%!

Nous nous remîmes à marcher vers la gare, devisant gaiement. Arrivée à bon port, je me promis de ne plus jamais imputer aux autres des préjugés qu’ils n’ont pas forcément.”

A Leyde, Chantal fut très applaudie après son anecdote.

Quant à nous-mêmes, amis lecteurs, soyons francs, à quoi pensons-nous quand nous lisons un titre qui commence par “La belle blonde, l’imam…”? A un clash, du bruit et de la fureur, des anathèmes fulminés de part et d’autre?

Et combien de préjugés cela révèle-t-il?

Par Fouad Laroui
Le 13/11/2019 à 11h01