Il y a dans L’Idiot de Dostoïevski, publié en 1868, une scène qui pourrait se dérouler aujourd’hui, à quelques détails près.
Si je me souviens bien, c’est un homme qui s’extasie sur l’introduction du chemin de fer dans la Russie du tsar Alexandre II. Quelle extraordinaire innovation! Enthousiaste, il dit à un ami:
– Tu te rends compte? En cas de disette, les trains pourraient apporter rapidement du pain partout! Finies, les famines!
Et l’autre, plus lucide ou désabusé:
– Non, tu te trompes: les trains apporteront du pain à certains et pas à d’autres.
Cette scène a une actualité certaine, à condition de remplacer les trains par les avions. L'ingénu pourrait s’exclamer:
– Tu te rends compte? En cas de pandémie, les avions pourraient apporter rapidement le vaccin partout!
Et le réaliste répondrait:
– Non: ils apporteront le vaccin à certains et pas à d’autres.
En effet, s’il y a une chose que la pandémie a révélé, c’est bien qu’en cas de coup dur, le progrès technique profite à certains en priorité. Si les Britanniques sont en avance sur presque tout le monde en ce qui concerne la vaccination, c’est parce qu’ils ont accaparé les vaccins produits sur leur sol. Idem en ce qui concerne les Américains, les Russes ou les Chinois.
Peut-on vraiment les en blâmer? Pas vraiment. Boris Johnson est d’abord au service de ses concitoyens, le président américain aussi. Et Poutine n’a de comptes à rendre qu’aux Russes –s’il s’avisait de rendre des comptes.
Très bien, c’est dans l’ordre des choses. Mais nous devons en tirer une leçon: il est dangereux de laisser la recherche scientifique se développer en Occident, il est illusoire de compter sur les trains ou les avions pour nous en apporter les fruits. Nous serions servis après ceux qui ont sur leur sol les chercheurs et les moyens techniques de production.
Il faut donc tirer les leçons de la pandémie. Quel type de recherche et développement devons-nous avoir sur notre sol, coûte que coûte? Une Commission formée de sages et de chercheurs de haut vol pourrait éclairer notre lanterne. Les Indiens semblent avoir fait cette démarche il y a quelques décennies. Ils fabriquent sur place presque tout ce qui est vital. C’est un exemple qu’il faudrait peut-être étudier. Notre ambassade à Delhi pourrait nous renseigner.
Oui, fabriquer sur place ce qui est vital est sans doute plus sage que de compter sur la bonté et la générosité des autres pays. Le prince Myshkine, le fameux “idiot” de Dostoïevski, était infiniment bon et généreux –mais hélas c’est un personnage de fiction…