J’ai lu cette semaine un livre très perturbant, même s’il se termine sur une note d’espoir. En voici un résumé, que je vous propose de lire jusqu’au bout, sans a priori, sans jugement.
Tamo est née dans une famille nombreuse: elle est la quatrième des sept enfants d’un couple très religieux. Son père refuse de l’envoyer à l’école. Elle se débrouille quand même pour apprendre à lire et à écrire à la maison. Très bien– mais elle n’est alors autorisée qu’à lire le Livre sacré. Elle aime la musique, qu’elle écoute parfois à la radio, rêve d’apprendre le piano ou la danse– hélas, son père lui dit (ou plutôt aboie…) que la musique est l’œuvre du Diable. Fin du rêve.
Mais Tamo est d’une intelligence vive. Avec la complicité d’un de ses frères, elle apprend en secret l’algèbre, la trigonométrie, les sciences. Elle se présente en autodidacte au baccalauréat, qu’elle obtient haut la main. Les portes de l’université s’ouvrent mais celles de la maison familiale se ferment: son père, qui estime que tout savoir non-religieux est inutile, la renie.
Elle n’en a cure. À l’Université, elle découvre l’Histoire, la politique, l’art du débat, de la controverse. Surtout, elle se rend compte qu’elle a le droit de parler, d’avoir une opinion. Pour une personne qui, depuis sa naissance, était soumise au dogme et n’avait pas voix au chapitre, c’est un choc. C’est une libération, en fait. Elle finira pas soutenir une brillante thèse de doctorat.
Belle histoire, n’est-ce pas? Et parfaitement authentique: c’est l’autobiographie de l’auteur.
Maintenant, une question. Où se passe tout cela? Au Maroc? En Arabie Saoudite? Chez les Talibans?
Pas du tout. Ça se passe aux États-Unis d’Amérique, de nos jours. Et Tamo s’appelle en fait Tara –pardonnez-moi le subterfuge.
Vous ne me croyez pas? Procurez-vous le livre et lisez-le. Il s’agit d’Une éducation, de Tara Westover, publié chez Lattès l’an dernier. Il coûte 22 euros.
Tara Westover est née en 1986 dans une famille mormone (une branche du christianisme). Le seul livre qu’elle avait le droit de lire, outre la Bible, c’était le Livre de Mormon. Ces fanatiques ont le droit, semble-t-il, de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. Leur vie, dans tous ces détails, est entièrement soumise à la religion –disons: à une conception très étriquée de la religion. Rien d’autre ne compte, rien d’autre n’existe.
Vous vous attendez peut-être à ce que j’épilogue là-dessus. Non, c’est à vous de le faire.
Moi, je me pose une seule question: quand on dénonce –à juste titre– le fanatisme religieux, l’oppression des esprits, le refus de scolariser les petites filles, pourquoi ne parle-t-on jamais de ces gens qui ont un passeport américain et qui ont quasiment tout un État, l’Utah, à eux? Pourquoi ne dénonce-t-on que les usual suspects– ceux qui peuplent cet arc immense qui va du Maroc à l’Indonésie?
Soit on combat le fanatisme et l’oppression sous toutes leurs formes, soit on se tait.
(Mille excuses, j’ai quand même épilogué –mais rien ne vous interdit de proposer une autre conclusion.)