Il y a treize universités aux Pays-Bas. Elles sont entièrement autonomes: l’Etat les finance mais les laisse décider de ce qu’elles font, de ce qu’elles enseignent, de qui elles embauchent, etc. Moyennant quoi elles figurent en bonne position dans les classements internationaux. L’une d’elles, Wageningen, est même la meilleure au monde dans sa spécialité, l’agronomie.
Dans quelle langue enseignent-elles? Commençons par préciser ceci: le néerlandais est une langue riche et souple qui se prête aussi bien à la poésie qu’aux sciences. Le premier prix Nobel de chimie est allé à un citoyen des Pays-Bas: J. H. van ’t Hoff en 1901. L'année suivante, ce sont deux autres qui se partagèrent le Nobel de physique: Lorentz et Zeeman. Depuis, une vingtaine d'habitants du polder ont décroché la plus haute des récompenses dans les matières scientifiques. Et quand on décida, en 1969, d’instituer un prix Nobel d’économie, le premier récipiendaire en fut un Hollandais: Jan Tinbergen– dont le frère Niko obtint le Nobel de physiologie et médecine quatre années plus tard. Le dernier à avoir été distingué par le Nobel fut mon collègue le chimiste Ben Feringa, il y a deux ans.
Tous ces hommes d’exception avaient fait leurs études en néerlandais, ce qui prouve que cette langue ne pose aucun problème pour l’acquisition du savoir.
Et pourtant…
Et pourtant, lundi dernier j’ai assisté à une réunion du conseil d'administration de l’Université d’Amsterdam (classée parmi les 50 meilleures du monde) où on discuta de la possibilité de faire basculer tout l’enseignement vers l’anglais! Notons qu’une des universités du pays, celle de Maastricht, a déjà sauté le pas: on y enseigne exclusivement en anglais. Finalement Amsterdam a décidé de devenir une université bilingue néerlandais/ anglais. Toutes les matières scientifiques seront enseignées dans la langue de Shakespeare. Pourquoi? Encore une fois, le néerlandais ne pose aucun problème d'acquisition du savoir, dans aucune discipline. Le passage à l’anglais se justifie par des considérations purement pratiques: il s’agit d’attirer des étudiants du monde entier. Un Chinois, un Brésilien ou un Ghanéen s’inscriront plus facilement ici si les études s’y font dans la lingua franca du monde. Et puis les échanges avec Harvard, le MIT ou Oxford en seront facilités.
Et voici le point le plus important: la décision prise par les universités néerlandaises de basculer vers l’anglais n’a suscité aucune polémique, aucun échange d’insultes au parlement, aucune excommunication. Personne n’a parlé du Diable ni d’un complot “ourdi” dans des “officines” étrangères.
Pourquoi? Tout simplement parce que personne n’a introduit des considérations idéologiques ou religieuses ni des surenchères nationalistes dans la discussion. Un problème pratique a été résolu pratiquement. Et c’est pourquoi les bataves sont loquaces et votre fille est muette.
Est-ce faire preuve d'angélisme que d'espérer que nous autres Marocains arriverons un jour à traiter la question linguistique de la même façon: pragmatique, paisible, intelligente?