L’autre jour, j’étais assis au soleil sur un banc dans la petite ville des bords de la Garonne où on est censé retrouver entrain et joie de vivre, lorsque j’entendis deux gugusses, invisibles parce qu’allongés sur le gazon derrière moi, tenir le dialogue suivant:
-Dis donc, j’étais au musée hier, eh bien, je n’en ai pas cru mes yeux, il y avait deux Noirs en train de le visiter. C’est la première fois de ma vie que je vois des Blacks dans un musée.
Et l’autre gugusse de répliquer:-C’était pas des vrais Blacks, c’était des Bounty.-Des Bounty?-Oui, ils sont noirs à l’extérieur mais blancs à l’intérieur.-Ha, ha, ha!
Ce court dialogue m’a mis hors de moi. Evidemment, il n’était pas question que j’aille chercher noise aux deux faquins en leur gazon (la tension, la tension!), je n’ai donc rien dit. Heureusement qu’il reste les colonnes du Le360.ma pour se défouler ou pratiquer l’esprit de l'escalier.
Tout d’abord, commençons par citer Georges Orwell: «Le premier qui a comparé une femme à une rose était un poète. Le deuxième énonçait un cliché ou était un plagiaire.» Ceci à l’intention de ceux qui usent et abusent de l’image du Bounty –vilains plagiaires, inventez vous-mêmes vos métaphores et vos métonymies– ou sinon, taisez-vous!
D’autre part, cette image est au fond incroyablement raciste. Ainsi, un Noir qui fréquente les musées ou un Maghrébin qui s’astreint à un bel usage de la langue française seraient "dénaturés"? Ils ne seraient plus eux-mêmes? Apprécier la musique de Bach (le plus grand compositeur de tous les temps, tout de même...) serait interdit si on s’appelle Hmidou ou Daouia? Autant dire alors que les musées sont réservés aux Blancs, que Bach appartient aux Allemands et que le bel usage du français n’est légitime que quand on est tourangeau... C’est absurde.
Leftah ou Khaireddine ou Kateb étaient des virtuoses du français. Etaient-ils des Bounty?
Je me souviens de mon ami Hamidou Sall, Sénégalais bon teint, me faisant la remarque autour d'un bon couscous, à El Jadida, que le mot "synopsis" devrait être féminin, vu le mot grec dont il dérive. Un Sénégalais corrigeant la langue française, pourquoi pas? Pourquoi l'insulter, pourquoi se gausser de lui?
Il faut être nul pour voir des Bounty ailleurs que chez le confiseur!