Coup de cœur: un roman sur le génocide rwandais

DR

ChroniqueQuelle que soit l’ampleur d’un drame, c’est par la fiction, par la création de personnages et de situations qu’on donne à mieux comprendre ce qui s’est passé. C’est le mérite premier de ce roman émouvant et passionnant.

Le 21/11/2016 à 12h01

Comment écrire, comment raconter un génocide? Le Rwanda a vécu une tragédie en opposant deux ethnies, les Tutsis et les Hutus. Ce pays a eu son indépendance en 1959. Les Tutsis représentent une minorité par rapport aux Hutus. Au moment de la libération du pays, les Hutus ont attaqué les élites tutsies. Ce premier carnage avait été encouragé par les colonisateurs belges. Un régime hutu a pris le pouvoir et a fait inscrire l’ethnie sur la carte d’identité. Le 7 avril 1994, le chef hutu, Habyarimana, est assassiné dans un accident d’hélicoptère. Début du génocide. Chasse aux Tutsis. Des centaines de milliers de familles dont certaines étaient ethniquement mixtes sont massacrées.

L’écrivain Jean Hatzfeld a rapporté de ce pays des livres de témoignages exceptionnels. Ce sont des essais, des documents très bien écrits, des livres d’histoire («Dans le nu de la vie» et, entre autres, «Une saison de machettes», Seuil). Il manquait un roman. Car, quelle que soit l’ampleur d’un drame, c’est par la fiction, par la création de personnages et de situations qu’on donne à mieux comprendre ce qui s’est passé. Ce roman, c’est un jeune homme du Burundi qui l’a écrit, Gaël Faye. Le livre «Petit pays» (Grasset) a dès sa sortie en septembre dernier rencontré un grand public. Il vient de remporter le Goncourt des lycéens.

Le roman est le regard d’un enfant, un adolescent qui apprend comment un peuple s’est entretué. Il pose des questions, un peu à la manière du “Petit Prince”. Il raconte à partir du Burundi, son pays natal, cette tragédie dont les traces sont encore visibles sur les visages des personnes âgées. Aujourd’hui, le Burundi est menacé des mêmes maux. Il risque de tomber dans le chaos des massacres où plus personne ne reconnaît personne. Telle est la folie des hommes. Elle est puissante, féroce et sans limites. C’est le mérite premier de ce roman émouvant et passionnant.

Le fait que des lecteurs jeunes de France l’aient choisi pour lui attribuer le Goncourt des lycéens est un signe des temps. Nous vivons une époque où la violence est au coin de la rue, de toutes les rues, que ce soit en Amérique, en Europe, dans le monde arabe ou ailleurs. Les adolescents ont des intuitions. Ils auraient pu choisir un autre livre dans la liste établie en septembre par l’Académie Goncourt. Ils ont hésité entre «Chanson douce» de Leila Slimani et «Petit pays». Les deux romans ont ceci de commun: ils disent la brutalité du monde, la lutte des classes et la guerre civile à petite ou à grande échelle. Les enfants sont les premières victimes.

Instauré il y a vingt-huit ans, le Goncourt des lycéens est devenu un prix important, aussi prescripteur que le Prix Goncourt. Soutenu par le ministère de l’Education et par la Fnac, ce prix non seulement fait lire les jeunes, mais les incite de plus en plus à écrire. 

Espérons que le jeune public marocain aura rapidement accès à ce livre. Au moment où le Maroc s’ouvre sur l’Afrique et renoue avec certains Etats de ce continent, notamment le Rwanda, il est utile qu’à travers un roman, on découvre l'une des pages les plus tragiques de ce pays où deux ethnies si proches se sont entretuées avec une rare brutalité. Cela veut dire que nous ne sommes jamais à l’abri du chaos, de la panique et de la grande violence.

Vivement que «Petit pays» soit traduit en arabe et largement distribué dans notre pays. Ainsi, si certains écrivent pour passer le temps ou faire passer le temps, d’autres écrivent pour dire et raconter les horreurs du passé pour que plus jamais elles ne se reproduisent, pour nourrir les mémoires et empêcher que l’oubli ne normalise l’inacceptable.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 21/11/2016 à 12h01