Il n’est pas bon être musulman aujourd’hui en France et même dans le monde occidental. Le terrorisme au nom de cette religion a fini par détruire et massacrer l’image de l’islam et des musulmans; il a aussi ouvert la porte aux préjugés les plus fous concernant cette religion et ceux qui s’en réclament. Stigmatisés, condamnés d’avance, les musulmans dans leur écrasante majorité souffrent en silence de ce regard torve et puant que pose sur eux le reste du monde. Révolue l’époque où un Louis Massignon, un Jacques Berque, ou un Vincent Montaigne donnaient par leurs œuvres une image positive, universelle, du message islamique. Ces orientalistes sont oubliés. Ils ont été remplacés par des journalistes, des experts qui parlent de l’immédiat et n’approfondissent pas leurs analyses, contribuant ainsi et parfois à leur corps défendant, à forger chez le grand public une image de l’islam souvent erronée, ouvrant le chemin à la stigmatisation et même à la haine. On évoque souvent l’islamophobie, or c’est de rejet et de haine qu’il s’agit.
L’affaire de la belle chanteuse de vingt-deux ans Mennel Ibtissam a révélé combien la haine de l’islam est ancrée profondément dans les consciences de très nombreuses personnes. Mennel est née en France, elle est d’origine syrienne; elle chante en anglais, en français et aussi en arabe, sa langue maternelle. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle a fait des erreurs, a écrit des choses inadmissibles après l’attentat de Nice. Elle a reconnu avoir mal fait puis s’est excusée. Au lieu de l’admettre et de considérer sa prestation dans «The Voice» d’un point de vue strictement artistique, on l’a traînée dans la boue jusqu’à la dégoûter et la pousser à renoncer à chanter de nouveau dans le cadre de cette émission.
TF1 s’est pliée à la pression générale et a renoncé à la faire revenir. C’est dire combien le tribunal médiatique est devenu plus important, plus cruel, que le tribunal judiciaire. On est condamné avant d’être jugé. On est accablé et insulté. On est lynché avant d’être entendu. Ce nouveau tribunal fait peur à tout le monde, en tout cas aux personnes publiques, qu’elles appartiennent au monde politique ou artistique. Mais quand, en plus, on est d’origine arabe et musulmane, quand on se présente avec un signe extérieur d’appartenance à l’islam, avec un joli foulard sur la tête, ce qui est le cas de Mennel, les dérives médiatiques et réseaux sociaux ressemblent à un bulldozer qui écrase tout sur son passage.
Il règne en ce moment en France un climat détestable. Comme a dit le président Macron, c’est «Une France du soupçon»; il a dit qu’il n’aimerait pas vivre dans une telle France. Oui, le soupçon existe et attend la moindre occasion pour se poser sur les gens surtout s’ils ont une notoriété.
Evidemment, Tarik Ramadan n’échappe pas à cet immense soupçon. Cet islamologue est actuellement en prison, accusé de violence et de viol et attend son procès. Sans se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de cette personnalité populaire en milieux arabes, le tribunal médiatique l’a déjà condamné et ce que vont faire les juges en leur âme et conscience devient secondaire. La présomption d’innocence ne semble pas jouer pour lui, alors que c’est le principe fondamental de la justice.
Tarik Ramadan est connu pour tenir le discours qui convient au public dont il repère très vite la sensibilité et les tendances. C’est un showman, un politique. Il est considéré comme le meilleur défenseur des idées des Frères musulmans. Les médias français l’ont d’abord boycotté à cause aussi de sa dénonciation de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens et aujourd’hui sont assez contents d’assister à sa chute. Mais derrière ce personnage, certains visent l’islam. Cette religion est ainsi confondue avec celui qui la défendait et qui se trouve aujourd’hui devant répondre à la justice pour des accusations d’une grande gravité.
Autre paradoxe: en même temps des juges ont relaxé Jawad Bendaoud, le logeur des terroristes du 13 novembre 2015, un délinquant connu des services de police, ce qui illustre l’indépendance de cette justice. Car les juges ont tranché: l’inculpé a bénéficié du doute. Ils n’ont pas pu prouver qu’il savait qu’il prêtait son appartement à des tueurs.
Nous avons d’un côté une clameur populaire qui ne s’embarrasse plus de la présomption d’innocence dans le cas de Ramadan, juge et condamne sur des bases subjectives, de l’autre une justice qui fait son travail, car elle est indépendante et vient de le prouver avec la relaxe de Bendaoud.
Le cas de Mennel Ibtissam n’est pas arrivé jusqu’aux tribunaux de la République. Mais il a suffi du tribunal médiatique pour qu’elle quitte la scène, d’autant plus qu’une journaliste spécialiste des médias lui a reproché d’avoir en plus chanté en arabe!!
La même journaliste a affirmé n’être absolument pas raciste. Oui, évidemment, le racisme c’est pour les autres. Un boxeur français a posté sur son site une vidéo où il déblatère des insultes des plus nauséabondes à l’égard de la chanteuse. Rappelons qu’elle a une belle chanson sur la Palestine «Palestine souris». Ce n’est pas anodin.
Voilà où nous en sommes dans le pays de Descartes et de Voltaire. Le soupçon et la délation. La haine et le repli. Et c’est sur ce fond malsain que le gouvernement de Macron a présenté une nouvelle politique de l’immigration et d’asile. Ce qui a fait réagir quelques intellectuels qui ont fait remarquer que cette sévérité dépasse de loin ce que des gouvernements de droite avaient essayé d’imposer en France.
Il n’est pas bon d’être musulman, migrant ou réfugié en la France d’aujourd’hui et par extension en Europe.