La notion de makhzen est liée étroitement à l’histoire et aux fondations de la nation marocaine. C’est au Maroc que cette notion a traversé les époques et a pris toute sa signification, avec, entre autres, l’organisation administrative installée par les Saâdiens au XVIe siècle. Ils établirent partout des «makhzen», des magasins de stockage de céréales pour assurer le ravitaillement des populations en période de sécheresse ou de disette.
Le terme devint par dérivation synonyme de «pouvoir central» organisé et répondant aux besoins des populations non seulement alimentaires, mais aussi aux impératifs de sécurité, d’ordre et de quiétude. Aujourd’hui dans notre pays, il n’y a pas un emploi «officiel» du mot makhzen. Excepté pour «makhzen mobile» et «makhzen administratif» relevant des forces auxiliaires.
Mais le mot «makhzen» est inscrit dans la mémoire collective marocaine. Il est souvent utilisé, spontanément, pour évoquer les notions d’Etat, d’administration et en général l’action publique, dans toutes ses déclinaisons. De la sécurité des personnes et des biens jusqu’à la protection des frontières du pays en passant par l’application des lois et règlements.
C’est l’exercice de l’autorité par le gouvernement central, ainsi que les missions de l’ensemble de l’administration, autant décentralisée que déconcentrée.
Le propos ici n’est pas de développer une notion amplement analysée et expliquée par les historiens et les sociologues.
Il s’agit surtout d’examiner cette fixation obsessionnelle de la propagande algérienne sur la notion de «makhzen» dans un but supposé, mais vain, de dépréciation et de dénigrement. Vain, car ce vocable est entouré d’égards par les Marocains qui y sont même très attachés. Si les vieillards séniles qui gouvernent l’Algérie cherchaient à connaître l’idée que se font les Marocains du makhzen, ils n’auraient aucune difficulté à connaître l’une des expressions les plus en vogue chez le peuple marocain: «Allah y3zz al makhzen». Cette expression qui peut être traduite par «Dieu glorifie le makhzen» est souvent utilisée dans le cas d’interventions pour rétablir l’ordre et lutter contre les différentes formes de petite ou grande criminalité.
Pour les «officiels» algériens et leurs médias, l’inclination première est de dire «makhzen» et non Maroc. Une dichotomie factice qui n’a aucun sens pour le peuple marocain. Le makhzen serait pour la junte militaire le responsable de l’incurie de l’Algérie. Ils radotent ce terme des dizaines de fois par jour sans réaliser leur incohérence.
Au niveau des relations internationales, cet usage du mot «makhzen» est exclusif au régime algérien. On ne le retrouve dans aucun autre pays. Son appropriation par la junte est inconséquente et même troublante.
Il y a donc lieu de s’interroger. Pourquoi ce mot les «habite»? On n’est pas loin de penser qu’il s’agirait d’un très révélateur lapsus! Seraient-ils des Marocains qui s’ignorent? Cette appropriation dévoile, en fait, une marocanité «refoulée». De plus, le sens que cette propagande donne au mot «makhzen» est basé sur un sens partiel et orienté de la notion telle qu’elle a été revisitée et galvaudée par une poignée d’aigris ou de protestataires marocains. Or, ceux-là restent des Marocains, fils de ce pays. Il s’agit d’une affaire interne et de famille avec toujours, in fine, des gestes de bienveillance et de pardon!
Faudrait-il rappeler que tous les Etats du monde (ou tous les «makhzen» du monde), même au sein de vieilles démocraties, sont obligés parfois de «froncer les sourcils» pour que force reste toujours à la loi. C’est un principe imprescriptible pour le vivre ensemble, sinon c’est la voie ouverte au désordre et à l’anarchie.
Le régime algérien a donc opté, dans un mimétisme troublant, pour une signification tronquée, usitée au sein d’une infime faction marocaine. Il place ainsi l’Algérie dans le prolongement politique, socioculturel et linguistique du Maroc. A l’instar de cette poignée de dissidents marocains qui désignent leur pays par le mot «makhzen», en utilisant ce même mot les dirigeants algériens reconnaissent une forme de filiation à la grande nation marocaine.
Par cette appropriation d’un terme qui est un label identitaire marocain, cette junte, qui ne cesse de proclamer sa «souveraineté» et son «nationalisme», se positionne finalement dans le continuum de la collectivité marocaine. La question devient freudienne. Cela rappelle la situation de ces «non-Français» qui disent «nos ancêtres les Gaulois». C’est le même schéma mental!
Magnétisés par le mot, les tenants du pouvoir algérien s’invitent ainsi dans une équation interne maroco-marocaine et par là affirment, consciemment ou inconsciemment, une part indiscutable de leur «tamaghrabit».
Par ailleurs, en essayant de dénigrer cette notion, les généraux algériens expriment forcément leur penchant pour la «siba», antonyme de «makhzen». Le lien doit être fait car les deux mots fonctionnent en synergie sémantique. La «siba» étant pour les Marocains un terme honni, référant à l’anarchie, au désordre, à l’insécurité, aux troubles…, ce que le «makhzen» et tous les Etats crédibles ont toujours combattus.
On comprend donc pourquoi dans l’esprit des généraux algériens, le mot «makhzen» (dans le sens d'Etat fort, organisé et fondé sur des institutions légitimes) est rébarbatif. En fait, ils se complaisent dans la confusion, l’opacité et sèment partout le désordre. C’est le climat idoine pour leur business, manigances et aussi leur survie.
Enfin, cet emploi, même manipulé, extrême et inconséquent, du mot «makhzen» par le pouvoir algérien atteste et ne fait qu’exprimer un ressenti prégnant même s'il est «enfoui»: la «composante marocaine» est un affluent qui nourrit et enrichit l’âme algérienne. Un très grand nombre de Marocains et d’Algériens l’ont toujours pensé. Et c’est tout à notre honneur.