Basic instinct

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueIl y a dans cet appétit insatiable que l’on affiche quelque chose de profondément indécent, à la limite de l’indigestion, et qui nous rappelle un film d’anthologie, qui prend tout son sens actuellement, «la grande bouffe», de Marco Ferreri.

Le 19/04/2020 à 12h32

Depuis le début du confinement, au sein de nombreux foyers, une question est sur toutes les lèvres: «qu’est ce qu’on mange?» Déclinée avec quelques variantes, le matin, à midi et le soir, cette question, devenue la hantise de celles (mais aussi parfois ceux) qui cuisinent pour la maisonnée, témoigne de notre obsession de la bouffe, et, tout compte fait, de nos instincts les plus primaires.

Sans travail, ni école, la journée a bien du mal à être rythmée par quelque chose. Seuls repères fixes, inébranlables et réconfortants de ces journées interminables, et qui se ressemblent toutes, les repas.

Vivre pour manger ou manger pour vivre? S’interroge-t-on mollement en calmant nos angoisses de gens privilégiés qui s’ennuient devant l’assiette, du moins le temps d’un repas, ou en allant grossir les rangs de ceux qui passent le temps en faisant des courses inutiles dans les supermarchés.

«Objectif zéro cellulite pour l’été!», «sculptez-vous un corps de rêve en 10 jours», «sexy dans mon bikini»…nous promettaient les magazines féminins. Mais ça, c’était avant.

Aujourd’hui, c’est fini, tout ça. On a fait une croix sur notre summer body à coups de gras et de sucre, parce que la dictature du bien-être, on en a ras la casquette! On se traine du lit au canapé, puis du canapé à la salle de bain, puis de la salle de bain au frigo, puis retour au canapé, et ensuite au frigo… qu’on ouvre, juste pour voir, comme ça, ce qu’il y a dedans. Pour le refermer aussitôt, en rêvant à un bon Big Mac (mais pourquoi ne réouvrent-ils pas, au moins, le McDrive?).

Mais cette obsession culinaire ne s’arrête pas entre les murs de notre cuisine. Combinée à l’ennui et à l’obsession de voir et d’être vu, elle nous pousse à partager des «exploits culinaires» sur les réseaux sociaux. Au point que nos «amis» se sont tous transformés en influenceurs foodstyle qui photographient les étapes de confection de leur plat, commentent en live la préparation de leur recette et nous gratifient d’une photo finale, digne d’une rubrique cuisine de magazine.

On n’aura jamais vu autant qu’en ce moment de photos de plats ou de recettes, circuler sur le web… à l’exception du Ramadan, où nos fantasmes de bouffe se projettent sur la toile aux heures où la faim nous tenaille. Et dire que Ramadan et le confinement vont se télescoper, d’ici quelques jours… Tout cela va virer au banquet gargantuesque, c’est sûr.

Pourquoi en faire tout un plat? Parce qu’il y a, dans cet appétit insatiable que l’on affiche, quelque chose de profondément indécent, à la limite de l’indigestion, et qui nous rappelle un film d’anthologie, qui prend tout son sens actuellement, La Grande bouffe, de Marco Ferreri.

Une incroyable satire du consumérisme et de la décadence de la bourgeoisie qui, bien que réalisée en 1973, n’a pas pris une ride... Pour les non-initiés, ce film culte raconte l’histoire de quatre amis, qui, fatigués de leurs vies monotones et leurs frustrations sexuelles, décident de s’enfermer (et donc de se confiner un peu comme nous) dans une villa. Et devinez l’occupation principale de ces quatre hommes? Manger! D’ailleurs, s’ils se sont enfermés ensemble, c’est pour organiser en huis clos ce qu’ils appellent un «séminaire gastronomique», une orgie de nourriture en somme, à l’issue de laquelle ils se suicideront collectivement en mangeant jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Si on devait vous recommander un film, ce serait celui-ci… Ne serait-ce que pour nous interroger sur l’avenir de nos sociétés de surconsommation, suralimentées, et comprendre aussi que si nous allons tous mourir, c’est de trop consommer.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/04/2020 à 12h32

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Doucement,s'il vous plaît. Chez-nous,oui, au Maroc, il y a encore des enfants qui fouillent les poubelles et sortent un fruit gâté pour en manger la partie non touchée.Ceux-là ,non,ils mourront ,probablement,de maladies infectieuses,d'un coup de couteau ...mais pas d'indigestion et Dieu sait qu'ils sont nombreux.Leurs familles ,non plus ne craignent pas les dangers de la suralimentation.Que de familles encore, pour lesquelles la viande est un luxe qu'elles ne peuvent se payer chaque semaine .Vous seriez bien surprise,madame d'apprendre qu'on couche encore à 5 ou 6 personnes dans une même pièce.Devinez, donc, si ces familles ont accès aux recettes culinaires diffusées à travers la toile et si elles ont les moyens de les essayer.

Nous avons une grande qualité nous les Marocains, on reconnait nos défauts et nos erreurs. Parmi ces erreurs on reconnait que nous n’appliquons pas correctement les préceptes de l’Islam et nous sommes hypocrites même avec Dieu … Ramadan approche, corona ou pas, pendant ce mois sacré les marocains se confinent pendant la journée, ne veulent plus travailler et se suralimentent … Avec cette pandémie, si certains perdent juste leur liberté, la majorité des marocains perdent leurs moyens de subsistance, faut donc profiter de ce mois sacré pour venir en aide aux plus démunis … Merci

Des réflexions pertinentes!!!!!

Oh,c'est choquant!Il y en a vraiment qui doutent de ce que nous les humains sommes...des sauvages qui se cachent derrière leurs habits,leurs cravates,leur mariages...Je suggère qu'on échange notre nom avec les animaux... Eux, ils sont dignes et majestueux.Il n'y a pas lieu d'intellectualiser la chose.

Tout à fait d'accord, pour une fois.On est dans une société de sur consommation. Le rapport au sex opposé obéit aussi à cette logique et les tenants de la dépenalisation des relations sexuels hors mariage n'échappent pas à ce constat ou le sex est vu comme un objet de consommation courante visant à satisfaire nos plus bas instinct en dehors de tout cadre.L'autre étant vu comme un "morceau de viande" qu'on voudrai goûter.D'ailleurs Le marketing qui valorise le plaisir de goûter des aliments appétissant sans restrictions aucune occulte notre faculté de raisonnement. l'auteur nous met en garde contre cette sur consommation volontaire de nourriture en raison de répercussions sanitaire et le même raisonnement peut être appliqué dans le rapport au sex opposé soulevé plus haut. Nos plus bas instinct livrés à eux même en dehors de tout cadre feraient de nous des esclaves de nos désires. Comme dans "la grande bouffe" il faudra consommer toujours plus être satisfait.

Bonjour Un grand merci pour tous vos articles, contingents, si "raffinement" écrits , brefs mais concis Belle plume et bon partage Bravo

Ce n'est pas tout fait ça... c'est parce que nous sommes français, c'est dans nos gènes de gaulois...

Un article à faire lire à Mr El Faid...

Réflexion pertinente que je partage complétement... Bien vu...

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