Accusé cette semaine par le président américain, Joe Biden, d’être un «tueur», Vladimir Poutine, son homologue russe, a rétorqué, avec son laconisme légendaire, «c’est celui qui le dit qui l’est»… Une réponse surprenante qui a pris tout le monde de court. Une phrase aussi enfantine utilisée au plus haut sommet de l’Etat en prémisse de ce qui s’annonce comme une crise diplomatique majeure? On aura tout vu.
La phrase a-t-elle été bien traduite? S’est interrogée dans un premier temps la presse occidentale, incrédule, avant de se résoudre au fait que Vladimir Poutine avait bien prononcé ces mots. Car celui-ci s’est assuré qu’on ne se méprenne pas sur ses propos, qu’il assume pleinement. «Le sens est profond et psychologique», s’est-il expliqué. «Nous voyons toujours en l’autre nos propres caractéristiques».
A vrai dire, cette réplique enfantine, qui aurait pu être ponctuée d’un «Na!» ou d’un «et toc!», est révélatrice de notre monde et de nouveaux travers qui n’existaient pas il y a quelques années encore. Il fallait être Vladimir Poutine pour oser la prononcer sans en rougir. Mais elle aurait tout aussi bien pu être employée par certains acteurs de notre classe politique, très occupés, à quelques mois des élections législatives, à régler leurs comptes par réseaux sociaux interposés. Un petit mot griffonné sur un bout de papier pour coucher noir sur blanc les noms de ceux qu’on n’aime plus, puis un autre petit mot griffonné à la hâte pour dire que finalement, on n’est plus fâché… Le tout saupoudré d’effets d’annonce qui font pshiiit aussi rapidement qu’ils ont été émis.
Même constat dans les provocations gratuites que multiplie le régime militaire au pouvoir en Algérie à l’encontre du Maroc. Ça titille, ça insulte, ça tente d’ironiser, ça calomnie… Mais qu’est donc devenue la diplomatie feutrée? Le prestige de la classe politique? L’aura qui entourait cette intelligentsia? C'est bien ce que l'on se demande, au même titre que les cinéphiles qui s’interrogent sur ce que sont devenus les Césars et l’élégance des monstres sacrés du cinéma au lendemain d’une cérémonie où s’est exhibée la nudité au nom de la revendication.
On savait que politique et cinéma se rejoignaient de bien des façons, à commencer par le vocabulaire qu’ils ont en commun, car on parle bien de scène politique, de jeu politique et d’acteurs politiques. Mais en ce début d’année 2021, ces deux disciplines flirtent cette fois-ci dans une manière de faire dépouillée de tout art: la provocation brute de décoffrage. Aujourd’hui, pour faire partie de ceux qui comptent, pour exister et parvenir à son but, il faut choquer, créer le buzz, monopoliser l’attention des médias et faute de créer un débat, susciter une polémique. Il n’y a plus lieu de s’embarrasser de la finesse d’esprit qui faisait l’élégance des grands de ce monde, ni de la véracité de ce que l’on avance. On se révèle au grand jour dans tout ce que l’humanité comporte de plus médiocre, on l’assume, et le tour est joué.
Autant de gesticulations propulsées au devant de la scène médiatique et politique qui ne masquent en fait qu’une chose, un grand vide. On se demande donc, sceptiques et presque désabusés, si le cinéma est peu à peu remplacé par la télé-réalité, les grands acteurs par les Marseillais à Dubaï, vers quoi la politique et ses acteurs sont-ils en train de muter? Et nous, citoyens, et électeurs, nous reconnaissons-nous vraiment dans ce nouveau scénario qui s’écrit sous nos yeux? Ne nous étions-nous pas promis, tous en notre for intérieur, au plus profond de notre confinement, qu’une fois libérés, on changerait notre vie pour la rendre meilleure?