Le 20 mai, à la date présumée du précédent déconfinement, les messages WhatsApp annonçant un prolongement de l’état d’urgence en mode #stayhome #staysafe étaient déjà venus à bout de nos espérances. Le discours de notre chef du gouvernement, on l’a donc écouté d’une oreille désabusée, en concluant l’annonce d'un «et voilà, j’t’l’avais dis» à l’attention de notre partenaire de vie, devenu partenaire de cellule, qui, tout aussi dégoûté, s’en est retourné à ses occupations, le décapsuleur (ou le tapis de prière, c’est au choix), qui ne le quitte plus, à la main.
Il nous alors fallu rassembler toutes les forces, la conviction et les bons sentiments qu’il nous reste après trois mois d’enfermement –mais jusqu’à quel point sommes-nous un puits sans fond?– pour aller chercher un peu plus loin dans nos réserves, encore un peu plus de patience, de résignation et de bonne humeur.
Et voilà que maintenant, on apprend… que le confinement risque d'être prolongé au-delà du 10 juin.
Se sentant punis injustement comme des gamins face à un prof d’école abusif alors qu’on a tout bien fait, on a tapé du pied au sol, la larme à l’œil et le poil hirsute. «Mais moi j’ai rien fait M’sieur! Je porte mon masque comme il faut, je le laisse pas pendouiller sur une oreille et je l’enlève pas quand on me parle comme le font d’autres qui doivent visiblement avoir l’oreille greffée à la place de la bouche», s’indigne-t-on dans ce petit coin où on nous assigne avec notre bonnet d’âne…
Pour preuve, on a lu, relu et même rerelu tous ces livres qui prenaient la poussière dans la bibliothèque du temps où on était busy et qu’on arborait un agenda aux pages noircies de rendez-vous.
On maîtrise maintenant la posture du chien museau face au ciel, de la sauterelle, du chien tête en bas, du chameau, de l’aigle et du cobra, et tout le bestiaire qui s’ensuit, mais il n’empêche qu’arrivés à ce stade, le yoga ne nous fait pas plus d’effet qu’une tisane relaxante un soir d’angoisse.
On s’est abonné à tous les comptes possibles et imaginables de cuisine pour satisfaire ces bouches toujours aussi avides et impitoyables qui quémandent de la nourriture du soir au matin, aussi bruyamment qu’un oisillon qu’on doit engraisser sans relâche.
On l’a porté ce fichu masque jusqu’à l’asphyxie, on l’a jeté au bout de trois heures en fermant les yeux sur le gaspillage –après tout il a l’air propre encore ce masque–, on a hydroalcoolisé nos mains jusqu’à gerçures…
On a bossé comme des tarés pour être sûrs de bien garder notre place dans ce confinement qui s’apparente au jeu de la chaises musicales, bien au fait que quand le déconfinement et sa petite musique de chambre s’arrêteront, il faudra se ruer, en jouant des coudes tel un rugbyman cabossé, sur les dernières chaises restantes.
On a dû se réveiller la tête à l’envers, pour partager notre ordi et notre connexion avec les gosses et être sûrs qu’ils ne ratent pas la réunion zoom de maths fixée à… 8 heures du mat’ –bandes de sadiques, va! Il a même fallu aller jusqu’à justifier des absences en cours– oui même en confinement– à ces écoles qui ne fonctionnent plus qu’à la menace.
Et puis, malgré tous ces efforts, ce routeur Internet qu’on en finit plus de charger à coup de 100 balles tous les deux jours, toutes ces heures à faire la leçon à nos gamins faute de «vrais» cours, on nous envoie une facture, salée bien sûr, comme si de rien n’était.
Tu bosses et tu paies. C’est un nouveau concept oui… C’est ça le «monde d’après»? Et nous qui pensions déconfiner des fleurs dans les cheveux, en dansant comme des fous-fous sur la plage, en mode «j’aime la planète», «à bas le capitalisme», «bas les masques», «demain sera mieux qu’aujourd’hui et encore meilleur qu’hier»… Tu parles!
Enfin, bref, tout ça pour dire que franchement, on ne mérite pas d’être enfermés plus longtemps. Si on devait se noter, on s’attribuerait même une bourse d’excellence avec spéciale mention résilience. Alors basta, stop!
Pour la paix des ménages, pour le maintien de la structure familiale ou du moins ce qu’il en reste, pour le salut psychologique de nos enfants qui croient désormais que la vie est un jeu vidéo, pour le salut de notre banquier qui crie famine à coup d’agios, pour le bien de notre corps qui réclame de la vitamine D– celle que nous apporte le soleil hein, parce que les boîtes de thon on n’en peut plus!–, pour ces vieux qui ne comprennent toujours pas qu’on ne colle pas une oreille au téléphone quand on appelle en visio’… Et, bien sûr, avant toute chose, et de manière plus sérieuse, pour tous ces gens qui n’ont plus de travail et pour lesquels toutes les préoccupations citées ci-dessus sont tellement futiles.
Délivrez-nous s’il vous plaît… mais le 10 juin!