Le 19 janvier, le Parlement européen a décidé de piétiner les droits des victimes marocaines d’agressions sexuelles et de les sacrifier sur l’autel des droits humains. En adoptant une résolution critique sur la situation des journalistes au Maroc, et notamment le cas d’Omar Radi, les eurodéputés ont, à 356 voix pour, fait l’éloge de l’hypocrisie, fait preuve d’une ingérence intolérable et cautionné une violence sans commune mesure à l’égard des victimes marocaines.
Plusieurs enseignements peuvent être retenus de cette «logique» toute européenne. Le premier étant que le Maroc est semble-il le seul pays où les droits des journalistes seraient bafoués, la liberté d’expression et des médias inexistante, au point de mériter à lui seul de faire l’objet d’une résolution dite d’«urgence».
Deuxième enseignement, les autres journalistes qui exercent leur métier au Maroc sans y être inquiétés sont tous des vendus du makhzen, des corrompus à la solde du pouvoir.
A contrario, ces trois journalistes emprisonnés –les seuls vrais journalistes dont disposait en fait le Maroc– sont présentés comme les martyrs d’une justice partiale et corrompue et devraient ainsi échapper à tout procès de droit commun, être protégés, malgré leurs crimes, par leur statut de journaliste. Il faudrait donc que le Maroc considère ces journalistes comme des êtres supérieurs, au-dessus des lois, à partir du moment où ceux-ci incarnent un idéal de liberté. Mais dans quel pays au juste cela existe-t-il?
La question qui aurait pu être posée est pourquoi le Maroc a décidé de médiatiser les affaires de ces journalistes? Après tout, dans ce Maroc décrit comme un Etat de non-droit, où l’on peut emprisonner toutes les voix dissidentes sans procès véritable, on aurait très bien pu étouffer ces affaires et exiger de la presse partisane de n’en piper mot. On aurait ainsi évité l’emballement médiatique qui a accompagné ces procès, on aurait évité que cela prenne autant de proportions à l’international.
Le Maroc aurait très bien pu suivre l’exemple de l’Algérie, où en l’espace de quelques mois à peine, la très rare presse un tant soit peu indépendante a été littéralement décimée, et où tous les médias, sans exception, sont sous la botte de l’armée au pouvoir. Cette situation typiquement algérienne a d’ailleurs fait l’objet d’une chronique cinglante dans les colonnes du Figaro, le 9 janvier, signée par l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt. «Aujourd’hui, cette presse est muselée, les journalistes arrêtés ou privés de leur passeport», dénonçait le diplomate en citant les journaux fermés, placés sous tutelle ou interdits, à l’instar des médias Liberté, El Watan, Radio M, Maghreb Emergent, tous interdits d’exercer. C’est aussi plus récemment le cas d’AlgériePart, accusé de recevoir des fonds de l’étranger pour diffuser des fake news afin de «déstabiliser le pays» expliquait Driencourt qui connaît mieux l’Algérie que la majorité des eurodéputés présents le 19 janvier dans l’hémicycle.
Le Parlement européen s’est-il préoccupé du sort des journalistes emprisonnés en Algérie, et du dernier en date, Ihsane Al Kadi, emprisonné pour un article et dont l’arrestation fait l’objet de l’indignation générale? Non, on a préféré cibler le Maroc où les affaires Radi, Raissouni et Bouachrine ont, elles, fait l’objet d’enquêtes, ont donné lieu aux témoignages de victimes devant la justice, ont fait l’objet d’une médiatisation sans commune mesure et de procès équitables.
Pourtant, si la question de la liberté de la presse était vraiment le sujet de préoccupation principal du Parlement européen, l’Algérie aurait bien mérité une résolution à elle seule. Au lieu de ça, nous avons eu droit à des prises de parole emplies de haine et de subjectivité malsaine émanant d’eurodéputées françaises d’origine algérienne, qui plutôt que de s’inquiéter de la situation intenable des journalistes de leur pays d’origine, ont fait montre de leur «intégrité» en tapant sur le Maroc, une cible toute choisie, et en dénonçant l’ingérence du lobby marocain au sein du parlement. Accordez-nous au moins le droit de rire, chers eurodéputés, de cette mascarade.
Autre enseignement du Parlement européen à travers cette résolution, la parole d’une victime, pour peu qu’elle soit marocaine, peut être réduite à néant, balayée d’un revers de la main. En un mot, méprisée. Hafsa Boutahar, qui accuse Omar Radi de viol, en a fait les frais en étant associée par le Parlement européen à la stratégie des autorités marocaines d’utiliser les allégations sexuelles comme moyen de dissuader les journalistes, les vrais, de parler. Ainsi donc, cette femme serait prête à sacrifier sa vie, son intégrité, mettre en péril son avenir, pour un mensonge? Dans un pays où très rares sont les femmes victimes de viol qui osent prendre la parole pour dénoncer, on affirme donc que celles qui dénoncent sont des instruments du pouvoir. Ces chers eurodéputés savent-ils seulement tout ce que cette femme a perdu en prenant la parole? Sont-ils seulement au courant que se faire violer, quand on est Marocaine, et oser le dire, c’est jeter le déshonneur sur soi et sur sa famille?
Mais à vrai dire, ce second viol que Hafsa Boutahar vient de subir au sein de cet hémicycle de la honte ne nous étonne guère, car quelques mois seulement auparavant, c’est le même traitement qui était réservé à Khadijatou Mahmoud, victime d’un viol commis par Brahim Ghali, ce criminel qui s’est rendu coupable de viols et de meurtres sur les sols marocain et espagnol sans que cela n’émeuve le Parlement européen. On se souvient parfaitement du traitement réservé à Khadijatou Mahmoud, lorsque le 13 octobre dernier, au sein du Parlement européen de Bruxelles, sa présence a fait l’objet d’une véritable guerre d’influence dans les coulisses de l’institution européenne, afin de l’empêcher de prendre la parole. Parle-t-on pour autant d’Algérie Gate ou de Polisario Gate au sein de cette vénérable institution? Pas le moins du monde. Comme l’a si bien résumé Thierry Mariani devant les eurodéputés, le 19 janvier, «la gauche européenne ne condamne jamais l’Algérie et l’Union européenne lui passe tout en espérant son gaz».
Cette résolution indigeste et d’une violence inouïe est une gifle sans précédent infligée aux Marocains mais surtout aux Marocaines. En tant que femmes, la décrédibilisation d’une justice qui, depuis des décennies, s’est transformée –et se transforme encore– pour mieux épouser l’esprit de la nouvelle Moudawana et faire respecter les droits des femmes, est une attaque en bonne et due forme à nos droits de citoyennes. Les mouvements féministes et de droits humains de notre pays, mus par l’élan insufflé par le roi Mohammed VI, ont tant bataillé pour que les victimes telles que Hafsa, Khadijatou, Adam Mohamed, et tant d’autres, puissent avoir droit à une justice équitable, des lois qui les protègent… Tant d’efforts méprisés par un Parlement européen qui ne connaît visiblement rien d’autre du Maroc que ce qu’en disent les rapports biaisés d’organisations telles que Amnesty International et Human Rights Watch.
Permettez, chers eurodéputés, à nous autres Marocaines, de surcroît journalistes encore en liberté et donc forcément partisanes selon votre logique, de citer Jacques Chirac en faisant preuve d’un brin de vulgarité à l’égard de votre résolution qui «nous en touche une sans faire bouger l’autre».