Quel avenir pour nos vieux?

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ChroniqueFeu le Roi Hassan II avait décrété, comme une sentence immuable, que «le jour où on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition». Cette parole-là, on s’y accroche encore malgré tout, mais il se fait qu’entre-temps notre société a changé. Nous ne pouvons plus continuer à fonctionner de la sorte.

Le 16/10/2022 à 12h44

Eclipsée par la Journée nationale de la femme marocaine célébrée le 10 octobre, et la lutte contre le cancer du sein qu’on honore au cours de ce mois rose, une cause tout aussi importante (une façon de parler) fêtée pour sa part le 1er octobre est passée sous silence, un peu comme chaque année: la Journée internationale des personnes âgées.

Au Maroc, nous entretenons une relation particulière avec nos aînés, teintée de profond respect, conditionnée par la recherche constante de la bénédiction parentale et empreinte d’une notion de sacrifice qui se transmet de génération en génération.

Les enfants se doivent de se sacrifier pour leurs parents, tout autant que ceux-ci se sont sacrifiés pour leurs enfants. C’est ainsi, c’est quelque chose qu’on porte en nous, une tradition profondément ancrée, à laquelle on tient viscéralement, quand bien même celle-ci implique de vivre, souvent, avec un profond sentiment de culpabilité lié à la peur de ne pas assez en faire, sentiment nourri par un certain chantage émotionnel auxquels se livrent nos aînés.

Mais l’idée n’est pas, ici, de décortiquer la manière dont on s’aime au Maroc entre parents et enfants… Loin s’en faut. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, tous autant que nous sommes, peut-on s’avancer à dire, c’est l’avenir de nos parents.

Pas étonnant qu’on associe le passage à la quarantaine à une crise tant la violence des prises de conscience qui interviennent à cet âge là est grande. Notre corps commence à nous faire payer nos excès de jeunesse, nos enfants grandissent et s’apprêtent à quitter le nid, notre situation financière témoigne des bons ou des mauvais choix que nous avons fait à la vingtaine quand on était jeunes et cons, et nos parents, qui étaient jusque là des piliers inébranlables deviennent des colosses aux pieds d’argile.

A l’heure où on met les bouchées doubles pour financer les études supérieures des enfants, il faut aussi prévoir la vieillesse de nos parents, ce qui implique le plus souvent un bouleversement de la cellule familiale. Et pour peu qu’ils soient divorcés ou veufs, composer avec un parent vivant seul est … compliqué.

Ils tiennent à leur indépendance, mais avec l’âge, ont de plus en plus besoin d’aide et de soins. Il faut alors s’organiser, ou plutôt jongler avec son boulot, ses horaires, pour gérer les rendez-vous chez le médecin qui deviennent mensuels, puis hebdomadaires. Il faut aussi s’impliquer dans la gestion de la maison parentale, et quand on en a les moyens, trouver une femme de ménage qui, espère-t-on, pourra aussi jouer les aides soignantes si nécessaire et saura aussi s’occuper de la cuisine. Il faut combler le vide de leurs relations sociales qui s’étiolent de plus en plus et enfin, les mettre à l’abri financièrement, car combien d’entre eux se retrouvent sans rien, faute de ne pas avoir pu épargner, faute de ne pas avoir cotisé, de ne pas avoir hérité…

Arrive un moment où tout cela ne suffit plus, où nos parents ne peuvent plus vivre seuls. On a beau jongler entre nos emplois du temps surchargés, nos finances et tout le reste, il faut s’y résoudre, il va falloir vivre sous le même toit. Oui, mais comment faire? Aujourd’hui, la configuration du foyer familial a changé au Maroc et on vit dans des logements de plus en plus petits qui ne permettent plus de vivre en famille, au sens large du terme, comme c’était le cas dans le passé.

Dans notre course à la modernité, nous avons perdu cela, cette vie de famille multi-générationnelle qui cohabitait sous le même toit, permettant ainsi aux enfants devenus adultes de s’occuper de leurs parents, et aux grands-parents de s’occuper de leurs petits-enfants. Tout le monde y trouvait son compte.

Aujourd’hui, la pression s’est accentuée sur nos épaules car nous autres quadras & co avons de surcroît été biberonnés aux paroles de feu le Roi Hassan II qui avait décrété, comme une sentence immuable, que «le jour où on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition».

Cette parole-là, quasi-sainte au Maroc, on s’y accroche encore malgré tout, mais il se fait qu’entre temps notre société a changé, et que par la force des choses, nous ne pouvons plus continuer à fonctionner de la sorte. Il est temps de se pencher sérieusement sur le devenir des personnes âgées au Maroc qui ne peuvent continuer à vivre dans la dépendance totale de leurs enfants, au risque de finir à la rue ou dans un centre social où l’on retrouve pêle-mêle des vieux, des enfants abandonnés, des SDF, des mendiants, des délinquants, des personnes souffrant de maladies mentales… Le centre de Tit Mellil en est le plus cauchemardesque témoignage.

Le temps est venu de bâtir des maisons de retraite dignes de ce nom à travers tout le Maroc, de mettre en place des services sociaux adaptés aux besoins de nos aînés, de les considérer comme des citoyens ayant droit à des infrastructures dignes de ce nom, aptes à leur fournir les soins qu’ils nécessitent et un tant soit peu de dignité…

Etrangement, ou plutôt paradoxalement, le Maroc est devenu au fil des ans un Eldorado pour les retraités étrangers. Ils préfèrent désormais couler leurs vieux jours au Maroc, où fleurissent les maisons de retraite de luxe pour étrangers (occidentaux) avec des services à la carte, ou encore les «maisons de retraite hôtelières médicalisées pour personnes dépendantes»… Des services de luxe comparés à ceux qu’on leur propose en Europe, mais qui restent toujours moins chers que chez eux. Pendant ce temps-là, nos vieux, eux, vivent dans la peur du lendemain, et nous avec.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 16/10/2022 à 12h44

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Je pense que malheureusement la société marocaine va y arriver tôt ou tard pour toutes les raisons évoquées dans l’article. Le problème, c’est que dans notre Pays, on ne sait pas faire les bons calculs, car étant donné que le jour ou ces maisons ouvriront, il va y avoir nécessairement des étrangers qui vont venir s’y installer, et les prix pratiqués seront encore une fois des prix européens, et nos compatriotes n’auront surement pas les moyens de s’y installer. P.S : je ne suis pas du tout dans cette logique d’installer nos ainés dans ces établissement, mais il faut se rendre à l’évidence, le Maroc finira par y arriver tôt ou tard; mais à quel prix ?

@ Mostafa Reviens sur terre parmi nous les humains et non les égos que faite vous alors de ce que notre culture nous apprend De notre saint Coran « Et ton Seigneur a décrété: «N'adorez que Lui; et (marquez) de la bonté envers les père et mère: si l'un d'eux ou tous deux doivent atteindre la vieillesse auprès de toi, alors ne leur dis point: «Fi!» et ne les brusque pas, mais adresse-leur des paroles respectueuses ». Sourate al israa (verset 22) À vous lire j’ai envie de gerber Mais les égoïstes agissent souvent ainsi mais sachez que كما تدين تدان Ce que vous avez fait vous sera restitué

Un sujet extrêmement délicat. Oui Mr Adil ,la famille marocaine n'est plus ce qu'elle était. La création de maisons de retraite modernes me semble inévitable avec le temps. Triste.

Les résidants au centre social sont libres, c'est pour cela qu'on les trouve traîner partout dans la ville

Omar la société marocaine a "involué" dans sa raison d'être milieux familial qui se limite a 2 enfants sinon un, plus de grand mère plus de grand père a la maison, le fils a son chez lui ses vieux ont le leur, les visites s'étirent et l'habitude a cet "absent" se fait normalité. nous qui avons pour des raisons de nos parents quitté notre pays et vivant parmi les autres mais pas comme ces autres sur le plan familial. il m'arrive rarement de me rendre au Maroc, mais à chaque fois je constate le fossé entre les meurs des citations et des ruraux, ceux qui résistent a ce bouleversement sont les ruraux, je m'incline devant ce qu'ils sont, allez a tinghir, boudnib, rachidia, bouarfa, surtout Ich, figuig, erfoud, le mot dar el ajaza et banni, il n'est même pensé quant a orphelinat, OUF !!.

Franchement,il faut avoir visiter plusieurs maisons de retraite en France pour savoir ce que c'est. Une bonne maison de retraite qui va assurer le bien êtredes personnes âgées: santé,soins, logement,nourriture,il faut compter au minimum 3000 euros par mois,qui peut s offrir ce luxe ?Très peu de personnes.qui bénéficie d une retraite de 3000 euros ?; moins les prix sont tirés et les prestations les plus basses. En fait c est une horreur, puisque les investisseurs construisent à tour de bras des maisons de retraite pour la rentabilité, voire le scandale ORPEA où ils allaient même jusqu à gratter les galettes pépito des vieux.j admire le Maroc et les Marocains sui conservent leurs traditions leurs culture leur religio.et se soucient envers et contre tout de leurs anciens,quelle exemplarité

Bonsoir Madame Angie. C'est vrai. Il est établi qu'en France, il y a des maisons de retraite qui sont loin d'être à la hauteur de la tâche et les contrôles sont quasiment inexistants. Cordialement.

Bjr Madame! Déjá les vieux d'aujourd'hui ont du mal à survivre.Qu'est-ce que ce sera demain surtout avec la maigre pension de retraite que se propose de verser l'actuel gouvernement aux futurs vieux fonctionnaires?Autant le dire tout de suite,il y aura trop de pauvres,surtout que le coût de vie ne cesse de grimper.Merci de rappeler à tout le monde qu'il faut penser aux vieux et aux vieilles.

Un reportage objet d’un film à diffuser sur une chaîne nationale ( Al aoul ou 2M) exposant sans interférence la situation de ces refuges sociaux, pourrait aider nombre de marocains dont on l’espère des responsables des problèmes sociaux, à prendre conscience de la situation catastrophique dans lesquelles se trouvent ces asiles où se réfugient des enfants seuls, des personnes âgées, des sdf , des dérangés mentaux qu’ils soient de sexe féminin ou masculin. C’est d’une très grande tristesse.

Il n'y a pas de présent pour eux, comment peuvent-ils penser à l'avenir ?

Une maison de retraite serait, à mon avis, une des solutions, pire certes, mais une issue pour une fin de vie paisible pour les vieux retraités, pour que leurs enfants, qui seront devenus adultes, vivent leurs propres vies. Eux aussi devraient penser à opter pour une sorte de maison pour y passer le restant de leurs vies et laisser leurs enfants à eux aussi faire leurs vies à leur façon et ainsi de suite. PS: Ce mode de vie doit servir seulement les couples qui peinent à joindre les bouts. La vie de couples est trop courte pour la laisser passer mêlée de soucis d'autrui, ceci dit il y aurait sûrement de temps pour rendre visite à ses parents dans la maison de retraite ou les faire venir pour quelques temps.

Article très intétessant.

Une excellente et très réaliste analyse Félicitations

je ne sais pas comment finiront les vieux Urbains, enfin dans les grande villes du royaume mais pour les autres traditionalistes, ce sera comme avant, la vieille et le vieux finissent presque tous leurs jours dans leurs maisons entourés de leurs familles, c'est notre cas dans le Tafilalet, j'ai quitté mon Oasis en février 1946 et quand viendra le mois "M" j'y vais, nous faisons comme les éléphants, mon père et ma mère l'ont fait sans passer par "dar el ajaza" et ce sera idem pour moi, c.a.d mouroir des éléphants, et pourtant je vis depuis X temps dans un pays européen doté de bonnes infrastructures où me seront dispensés de bons moyens mais navré, NON. La terre de mon Oasis m'ira très bien. la société marocaine a si mal évolué que le lien familial est disloqué

Bonsoir Monsieur adil. Dalaï Lama disait: "Donnez à ceux que vous aimez des ailes pour voler, des racines pour revenir et des raisons pour rester". Cordialement.

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