Eclipsée par la Journée nationale de la femme marocaine célébrée le 10 octobre, et la lutte contre le cancer du sein qu’on honore au cours de ce mois rose, une cause tout aussi importante (une façon de parler) fêtée pour sa part le 1er octobre est passée sous silence, un peu comme chaque année: la Journée internationale des personnes âgées.
Au Maroc, nous entretenons une relation particulière avec nos aînés, teintée de profond respect, conditionnée par la recherche constante de la bénédiction parentale et empreinte d’une notion de sacrifice qui se transmet de génération en génération.
Les enfants se doivent de se sacrifier pour leurs parents, tout autant que ceux-ci se sont sacrifiés pour leurs enfants. C’est ainsi, c’est quelque chose qu’on porte en nous, une tradition profondément ancrée, à laquelle on tient viscéralement, quand bien même celle-ci implique de vivre, souvent, avec un profond sentiment de culpabilité lié à la peur de ne pas assez en faire, sentiment nourri par un certain chantage émotionnel auxquels se livrent nos aînés.
Mais l’idée n’est pas, ici, de décortiquer la manière dont on s’aime au Maroc entre parents et enfants… Loin s’en faut. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, tous autant que nous sommes, peut-on s’avancer à dire, c’est l’avenir de nos parents.
Pas étonnant qu’on associe le passage à la quarantaine à une crise tant la violence des prises de conscience qui interviennent à cet âge là est grande. Notre corps commence à nous faire payer nos excès de jeunesse, nos enfants grandissent et s’apprêtent à quitter le nid, notre situation financière témoigne des bons ou des mauvais choix que nous avons fait à la vingtaine quand on était jeunes et cons, et nos parents, qui étaient jusque là des piliers inébranlables deviennent des colosses aux pieds d’argile.
A l’heure où on met les bouchées doubles pour financer les études supérieures des enfants, il faut aussi prévoir la vieillesse de nos parents, ce qui implique le plus souvent un bouleversement de la cellule familiale. Et pour peu qu’ils soient divorcés ou veufs, composer avec un parent vivant seul est … compliqué.
Ils tiennent à leur indépendance, mais avec l’âge, ont de plus en plus besoin d’aide et de soins. Il faut alors s’organiser, ou plutôt jongler avec son boulot, ses horaires, pour gérer les rendez-vous chez le médecin qui deviennent mensuels, puis hebdomadaires. Il faut aussi s’impliquer dans la gestion de la maison parentale, et quand on en a les moyens, trouver une femme de ménage qui, espère-t-on, pourra aussi jouer les aides soignantes si nécessaire et saura aussi s’occuper de la cuisine. Il faut combler le vide de leurs relations sociales qui s’étiolent de plus en plus et enfin, les mettre à l’abri financièrement, car combien d’entre eux se retrouvent sans rien, faute de ne pas avoir pu épargner, faute de ne pas avoir cotisé, de ne pas avoir hérité…
Arrive un moment où tout cela ne suffit plus, où nos parents ne peuvent plus vivre seuls. On a beau jongler entre nos emplois du temps surchargés, nos finances et tout le reste, il faut s’y résoudre, il va falloir vivre sous le même toit. Oui, mais comment faire? Aujourd’hui, la configuration du foyer familial a changé au Maroc et on vit dans des logements de plus en plus petits qui ne permettent plus de vivre en famille, au sens large du terme, comme c’était le cas dans le passé.
Dans notre course à la modernité, nous avons perdu cela, cette vie de famille multi-générationnelle qui cohabitait sous le même toit, permettant ainsi aux enfants devenus adultes de s’occuper de leurs parents, et aux grands-parents de s’occuper de leurs petits-enfants. Tout le monde y trouvait son compte.
Aujourd’hui, la pression s’est accentuée sur nos épaules car nous autres quadras & co avons de surcroît été biberonnés aux paroles de feu le Roi Hassan II qui avait décrété, comme une sentence immuable, que «le jour où on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition».
Cette parole-là, quasi-sainte au Maroc, on s’y accroche encore malgré tout, mais il se fait qu’entre temps notre société a changé, et que par la force des choses, nous ne pouvons plus continuer à fonctionner de la sorte. Il est temps de se pencher sérieusement sur le devenir des personnes âgées au Maroc qui ne peuvent continuer à vivre dans la dépendance totale de leurs enfants, au risque de finir à la rue ou dans un centre social où l’on retrouve pêle-mêle des vieux, des enfants abandonnés, des SDF, des mendiants, des délinquants, des personnes souffrant de maladies mentales… Le centre de Tit Mellil en est le plus cauchemardesque témoignage.
Le temps est venu de bâtir des maisons de retraite dignes de ce nom à travers tout le Maroc, de mettre en place des services sociaux adaptés aux besoins de nos aînés, de les considérer comme des citoyens ayant droit à des infrastructures dignes de ce nom, aptes à leur fournir les soins qu’ils nécessitent et un tant soit peu de dignité…
Etrangement, ou plutôt paradoxalement, le Maroc est devenu au fil des ans un Eldorado pour les retraités étrangers. Ils préfèrent désormais couler leurs vieux jours au Maroc, où fleurissent les maisons de retraite de luxe pour étrangers (occidentaux) avec des services à la carte, ou encore les «maisons de retraite hôtelières médicalisées pour personnes dépendantes»… Des services de luxe comparés à ceux qu’on leur propose en Europe, mais qui restent toujours moins chers que chez eux. Pendant ce temps-là, nos vieux, eux, vivent dans la peur du lendemain, et nous avec.