Denise Masson, cette femme qui a traduit le Coran

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueLe Coran a été révélé en langue arabe. A travers les siècles, les religieux et les croyants refusaient l’idée de le traduire, de peur d’en déformer le sens. Mais la traduction est indispensable pour ouvrir ce livre aux non-Arabes.

Le 03/03/2023 à 10h58

Les Arabes musulmans ne représentent que 20% des musulmans. Autrement dit, 4 musulmans sur 5 ne sont pas arabes! Sur près de 52 pays à majorité musulmane, seuls 27 sont arabes. Les autres sont africains, iraniens, européens (Turquie, Albanie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine et Kosovo) et surtout asiatiques. L’Indonésie compte le plus de musulmans, suivi de l’Inde et du Pakistan.

Les religions regroupant le plus d’adhérents dans le monde sont le christianisme (2,4 milliards) et l’islam (2 milliards).

Il existe plus de 120 traductions françaises du Coran. La plus ancienne date de 1647, réalisée par André du Ryer, consul de France en Egypte. Aucune n’a été considérée comme fiable.

En 1890, Kazimirski, orientaliste arabisant hongrois, catholique orthodoxe, publie une version appréciée par les francophones, mais critiquée par des religieux musulmans. Si en islam, il n’y a pas de clergé, l’Université d’Al-Azhar (Egypte) et l’Arabie saoudite jouent ce rôle et peuvent certifier ou rejeter certaines traductions. Celles qui sont cautionnées sont éditées au Caire.

La première traduction en français par un musulman est celle d’un Indien, en 1956, Muhammad Hamidullah. Elle a été corrigée par le Conseil scientifique islamique de Médine. Ensuite, il y a les versions de l’Algérien Hamza Boubakeur en 1972, du Tunisien Sadok Mazigh en 1983, de l’Algérien Malik Chebel en 2009…

Parmi les traductions de non-musulmans, il y a celle de Jean Grosjean (1923), poète et prêtre français, dans une langue très poétique, révisée suivant les indications de l’Institut de recherches islamiques de l’Université d’Al-Azhar.

Il y a celle de l’orientaliste français, islamologue arabisant Régis Blachère (1957) et de Jacques Berque (1993), grand sociologue, anthropologue et orientaliste français. Sa traduction du Coran a été plébiscité par la communauté scientifique pour son exactitude.

Enfin, il y a celle d’une femme, Denise Masson, en 1967, la plus diffusée, la plus vendue, considérée comme une des plus fiables et surtout la plus accessible au public.

Denise Masson est née à Paris en 1901, dans un milieu catholique bourgeois. En 1911, sa famille s’installe en Algérie. Denise Masson y passe son enfance, baignée dans la culture maghrébine et musulmane qui la fascine. Elle obtient le brevet d’études.

En 1925, le divorce de ses parents la pousse à vivre dans un couvent pour devenir religieuse, mais elle y renonce et entreprend une formation d’infirmière. Après avoir travaillé à Tunis, elle s’installe à Rabat, en 1929, dans un dispensaire pour tuberculeux. Un an après, elle s’établit à Marrakech et étudie l’arabe dialectal, l’arabe classique et l’islam.

En 1938, ses parents l’aident à acheter un des plus grands riads de la médina de Marrakech, avec un jardin central (Derb Zemrane, Bab Doukkala). Elle habite loin des quartiers modernes occupés par les Français et les Européens, jusqu’à son décès en 1994, à 93 ans.

Dans son riad, elle crée un Centre d’études islamiques où elle accueille de jeunes chercheurs en histoire et en islamologie.

Elle établit un programme, sous la direction de l’Education nationale française, pour apprendre l’arabe aux assistantes sociales françaises pour les initier à la culture marocaine et à l’islam. Son projet fut rejeté car contraire à la politique du protectorat: c’est aux autochtones d’apprendre la langue française et non aux colons d’apprendre l’arabe. Elle démissionne en 1947 et entame une importante activité intellectuelle avec un grand intérêt pour les religions monothéistes.

En 1958, elle publie «Le Coran et la révélation judéo-chrétienne», suivi de nombreux ouvrages sur le dialogue entre l’islam et le christianisme. En 1967, elle publie sa version du Coran en français, fruit de 30 ans de labeur (Bibliothèque de la Pléiade.)

Cette version a été considérée comme la plus lisible, la plus fluide, à la qualité littéraire incontestable.

En 1977, cette traduction est revue par le théologien libanais Sobhi el-Saleh et imprimée en version bilingue à Beyrouth. Les oulémas de l’Université Al-Azhar lui attribuèrent le label d’«Essai d’interprétation du Coran inimitable». Une distinction prestigieuse, accordée à très peu d’hommes! Etonnant qu’elle soit accordée à une femme!

En fait, la traduction était signée D. MASSON. Pour tout le monde, D. était un prénom masculin! Elle reçoit un courrier d’Al-Azhar, commençant par «Monsieur D. MASSON…». Sans cette erreur, aujourd’hui nous ne parlerions pas du Coran en français de Denise Masson, le plus vendu dans le monde!

Dans la médina de Marrakech, les voisins de Denise Masson en parlent comme d’un mythe, vantant son humanisme, sa générosité avec le voisinage et son amour pour le Maroc et les Marocains. Elle aidait et soignait les pauvres, me dit-on. Sous protectorat, lors des manifestations contre la colonisation, elle se plaçait au premier rang et marchait en levant haut sa canne.

On la nommait «la Dame de Marrakech». N’ayant pas d’enfants, elle a légué son riad à la France, à condition qu’il demeure un lieu de culture et de dialogue entre les religions, ouvert au public.

Aujourd’hui, géré par l’Institut français, il est une résidence pour les artistes et les intellectuels et un prestigieux centre culturel.

Le lieu est magique. On m’a invitée à y séjourner, mais je me suis lâchement dérobée. La rumeur dit que la nuit, Denise Masson sort se promener dans sa précieuse bibliothèque. Ayant peur des fantômes, je n’ai pas eu le courage de la rencontrer!

Dieu vous bénisse, Denise Masson, pour ce que vous avez été, ce que vous avez fait et pour l’empreinte que vous avez laissée dans l’histoire de l’humanité.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 03/03/2023 à 10h58

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bravo madame jai vraiment confiance en vous continuer benhamou farid

Bonsoir Madame Soumaya Naamane Guessous. Quel bel hommage,magnifique! A travers Madame Denise Masson, vous rendez aussi hommage à tous ces étrangers qui sont venus dans notre pays,non pour nous dominer et nous exploiter,mais pour nous connaître,nous comprendre,nous aider,nous soigner et nous instruire. On ne peut pas tous les citer, la liste est trop longue. Mais je voudrais juste rappeler l'exemple émouvant du Docteur Paul Chatinières qui fut séduit par Taroudant et l'hospitalité de ses habitants lors d'une tournée en 1915. Le temps passe et il finit par venir s'y installer comme médecin. En 1928, en se démenant contre l'épidémie de typhus qui frappait Tarpudant, Il décède du typhus en soignant les Roudanis, Sa tombe respectée de tous, est toujours à l'hôpital de Taroudant. Cordialement.

Sans oublier les religieuses franciscaines dont deux sont elles aussi décédées du typhus et enterrées elles aussi à Taroudant.

Bsr professeure!Traduire de la prose ou de la poésie est déjà si difficile.Mais traduire le Coran c'est archi-difficile.En effet,pour arriver à traduire ce texte sacré,il faut maîtriser l'arabe et les autres langues.Il faut s'imprégner de la religion islamique pour mieux comprendre les sourates et les versets et pouvoir ensuite les bien traduire.Denise Masson a réussi,semble-t-il à nous livrer une bonne traduction du Coran,mais ce n'est pas définitif.Car,chaque jour, on découvre dans ce Coran de nouveaux secrets inaccessibles aux seuls linguistes.Rachid Benzine dit qu'il faut la conjugaison de plusieurs sciences et une lecture minutieuse pour saisir la portée de ce livre céleste qui est envoyé au monde entier.Alors il faut que tout le monde travaille dessus et non le brûle.B chronique,mrci

Bonjour Madame, j'ai juste un petit détail, sans grande importance. Les pays arabes sont 19 et non 27 ! Certes, la ligue des États Arabes compte 22 membres, mais 3 d'entre eux ne sont pas arabes: la Somalie, les Îles Comores et Djibouti. Pour ce dernier pays, 10% seulement sont des arabes, originaires principalement du Yémen. Comme vous le savez, le terme "arabe" désigne, à la fois, une race et une langue, voire plus ! Il est curieux de constater que certains de nos concitoyens Amazighs choisissent pour leurs enfants le prénom de "العربي" 🤔

Merci Driss pour votre précision de grande importance qui mérite de grands débats. IL y a effectivement, officiellement 22 membres de la Ligues des Etats Arabes, mais d'autre pays se considèrent arabes car une partie de la population parle arabe, même si elle est minime. S'identifier à la langue arabe est aussi un moyen de s'identifier à l'Islam. C'est ce que je remarque dans de nombreux pays et chez de nombreux musulmans non arabes. Une sorte de complexe puisque la langue arabe a été plus ou moins sacralisée par les Arabes. Quant aux Amazighs, qui d'entre nous peut dire avec assurance qu'il n'est pas d'origine arabe et amazighé à travers l'histoire ou d'origine amazigh arabisé ? Mais votre remarque et pertinente. Je vous souhaite à toutes et à tous un très bon weekend

Bonsoir Monsieur Driss. Parmi les 19, seuls 3 utilisent le mot arabe dans le nom de leur pays: la République arabe d'Egypte, le Royaume d'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Pour ce qui est du prénom Larbi, ce que je trouve encore plus curieux c'est le prénom Mohamed-Larbi, comme s'il y a un autre Mohamed! Cordialement.

Elle a raison de se promener la nuit dans son Ryad à Marrakech. Cette veillance posthume est la seule assurance contre les arnaques immobilières.

La meilleurs femme de tout les temps sais myryame et pour le reste dieu le tout misericordieux sait tout simplement et le premier mot du coran sais dit

Non ! Le premier mot dans le Coran est "إقرأ" qui veut dire "lis" 🐰

Il fallait accepter l’invitation. Le fantôme d’une telle femme ne pouvait faire que du bien. Si Denise a été presque une sainte de son vivant, il ne fait aucun doute qu’une fois au l’au-delà, elle ne pouvait être que bénie.

HIHIHIHI ! Merci, vous avez raison, mais c'est juste pour l'humour. Je l'aurais bien rencontrée car, comme vous le dites, elle ne pouvait être que bénie. Bon weekend

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