L’œil avant la conscience.
L’œil avant les mots.
L’œil au cœur du monde.
Et de notre tragédie. Cette scène qui se joue sous nos yeux et dont nous sommes les protagonistes inquiets.
Duchamp décrète que l’œil est au cœur de la création, quand il soutient qu’une œuvre en soi n’existe pas et qu’elle n’est faite que pour être vue par les gens qui la regardent.
Sandor Marai avait eu le temps de dire, avant de mourir, que par la vue commence le monde. Par la vue et elle seule, suis-je tenté de dire. Car les sens, le toucher et l’odorat, l’ouïe et le goût sont des dieux aveugles sans la torche mystérieuse de la vue.
Le monde est une énigme.
Insoluble ?
Voire.
Le monde est une énigme qui exige d’être vue pour donner la pleine mesure de ce qu’il est.
L’œil réduit cette énigme à ce qu’elle doit être.
Il lui donne sa vraie mesure quand il en fait le cœur de l’esthétique.
Toutes nos batailles sont vaines sans les interrogations radicales, celles de l’esthétique, qui n’ont pour seul objectif que de sauver le monde.
Les dieux invisibles, qui habitent dans notre sang, s’appliquent à défaire l’énigme pour nos ancêtres à venir
L’esthétique est une arme.
C’est leur arme.
Elle révèle les incertitudes et les marges du monde.
Et révèle, ce faisant, ce que peut être le monde.
Elle révèle à l’instar d’une formule –chimique– absconse évidemment, et hasardeuse.
Absconse et sibylline.
Car nul ne connaît la formule de ce révélateur. Et nul ne peut la connaître. Elle œuvre dans le secret de l’instinct et le miracle de nos émotions.