L’État des lieux de l’édition au Maroc: un débat houleux et bien des malentendus

Mohammed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication.

Le 16/11/2023 à 15h44

VidéoLa conférence sur l’état des lieux de l’édition au Maroc, organisée hier mercredi 15 novembre à Casablanca en marge du Salon international du livre enfant et jeunesse, a attisé le débat. Des promesses, des propositions, mais aussi des malentendus ont plané dans l’atmosphère.

La conférence sur l’état des lieux de l’édition au Maroc a ouvert le bal de la première édition du Salon international du livre enfant et jeunesse (SILEJ), mercredi 15 novembre à Anfa Park. Un évènement qui s’est déroulé sans la présence de l’éditeur Abdelkader Retnani, décédé la veille.

«Patriote, Abdelkader Retnani a défendu le livre jusqu’à son dernier souffle, puisque sur son lit d‘hôpital il était en train de travailler sur son dernier livre, sur la Marche verte. Il nous a quittés la veille de l’ouverture de ce salon jeunesse qu’il a beaucoup soutenu», témoigne Mohammed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication, durant cette conférence modérée par la blogueuse et journaliste Fedwa Misk et organisée par le Book Club Le Matin.

Mohammed Mehdi Bensaid en a également profité pour dévoiler la stratégie de son département dans le secteur du livre et a même évoqué une nouvelle stratégie pour faire valoir le livre et la lecture dans le Royaume. «L’idée, c’est d’accompagner les éditeurs au plus près, faire en sorte que l’aide qui va aux éditeurs serve à consolider la filière. Chaque année, nous consacrons 11 millions de dirhams d’aide de soutien à l’édition dans 8 domaines du métier du livre», affirme le ministre dont le département s’occupe essentiellement de la culture.

Dans la liste des défis de son département et inscrits dans les futures actions de cette nouvelle stratégie, figure en pôle position le soutien à la création de nouvelles librairies dans les petites et moyennes villes. «Il n’est pas normal qu’aujourd’hui, au Maroc, les meilleures ventes ne dépassent pas les 1000 exemplaires. Il est donc important d’adapter la politique des prix du livre», souligne Mohammed Mehdi Bensaid.

Ouvrages à 30 dirhams, et des livres piratés

Le ministre a ensuite fait une annonce à propos de l’intention de son département, en concertation avec les éditeurs, de proposer des livres entre 20 et 30 dirhams qu’il appelle le «prix unique». Seul hic dans cette proposition, c’est qu’il existe déjà au Maroc des vendeurs en vrac, qui proposent dans les grandes artères des grandes villes, des livres à ce même prix. Ce sont pour la plupart des livres piratés.

L’avocat et expert de la question des droits d’auteur, Elias Khrouz, dans une déclaration pour Le360, a affirmé que c’était effectivement une problématique, mais que ce n’était pas au Bureau marocain du droit d’auteur seul de la combattre, mais à la Douane, à la Sûreté nationale, à la Gendarmerie et aussi à l’Association des éditeurs.

Mouna Hachem ne mâche pas ses mots, Camille Hoballah se sent visé

Des éditeurs qui souvent ne respectent pas le paiement des droits à l’auteur. C’est là un des dysfonctionnements évoqués par l’écrivaine et essayiste Mouna Hachim qui n’a pas mâché ses mots durant cette conférence. Des éditeurs qui font payer l’auteur pour être publié, parfois jusqu’à 400 exemplaires du livre qui sont pris en charge par ce dernier, l’absence d’un comité de lecture, etc. Tant de dérèglements dans ce maillon de la chaîne du livre qui ont poussé l’autrice à faire de l’auto-édition. Des propos qui visiblement n’ont pas plu à Camille Hoballah, président de l’Association marocaine des éditeurs.

Prenant la parole juste après Mouna Hachem, il lâche: «nous ne sommes pas là pour parler de nos problèmes personnels». Mouna Hachem de le reprendre en public: «je n’ai pas raconté mes problèmes...», esquisse-t-elle pour laisser entendre que ses doléances concernent une majorité d’auteurs. Camille Hoballah essaie dès lors de changer de fusil d’épaule pour éviter que la conférence finisse sur un ton amer. «Madame Hachem a beaucoup souffert, mais elle s’en est très bien sortie», dit-il. Pour le président de l’Association marocaine des éditeurs, il ne s’agit pas de généraliser. «Il y a des éditeurs militants et il y a des éditeurs moul chekara (des rentiers)», distingue-t-il dans la profession.

Droits d’auteur: le BMDA ne remplace pas l’éditeur

À propos des droits d’auteur, Elias Khrouz a tenu quant à lui à préciser que c’est aux auteurs de négocier leurs contrats avec les éditeurs. L’éditeur s’engage à payer entre 8 et 12 dirhams de droits d’auteur sur chaque livre vendu. «La bonne pratique c’est entre 8 et 12%, mais elle n’est pas respectée et la loi n’impose pas cette fourchette, car il s’agit d’un standard international», assure notre expert en droits d’auteur.

Avec la réforme de la loi des droits d’auteur et des droits voisins, le BMDA, qui est un organisme de gestion collective des droits, a instauré le droit de reprographie, mais il s’agit uniquement d’un pourcentage sur les achats d’imprimantes, de photocopieuses et de scanners qui iront aux auteurs marocains. Mais un détail important, et qui a été précisé par Mohammed Mehdi Bensaid lors de cette conférence, est la date arrêtée par le ministère, 2024, pour surveiller et contrôler le bon versement des droits aux auteurs par les éditeurs marocains. Cette mesure intrusive suffira-t-elle pour rassurer les auteurs? Espérons-le...

Par Qods Chabâa et Fahd Rajil
Le 16/11/2023 à 15h44