Classée dans le top 10 des expositions à voir absolument à Londres selon le magazine Time Out, «New Waves: Mohamed Melehi and the Casablanca Art School», qui se tient à la galerie Mosaic Rooms à Londres, a de très prestigieux émules.
Dans ce top 10, Melehi côtoie ainsi Franz West à la Tate Modern, des nus de la renaissance à la Royal Academy of Arts ou encore William Egglestone chez David Zwirner, et crée ainsi une belle surprise.
«C’est toujours agréable quand l’art se présente de la sorte, vous extirpe de votre zone de confort, vous expulse de votre bulle de connaissance et vous projette loin des codes établis. On s’habitue tellement à cette idée d’un art aseptisé sorti tout droit des livres et des musées, pour un résultat somme toute assez normatif que tout cela en devient morne. Mais parfois, il arrive quelque chose, comme cette exposition de Mohamed Melehi, qui vous fait un choc, provoque en vous un sursaut», écrit le magazine Time Out au sujet de l’exposition consacrée à Melehi.
Revenant sur le style de l’artiste, qualifié «d’étourdissant», l’article voit dans cette exposition «un beau témoignage du pouvoir de l’abstraction et du modernisme qui s’exprime ici à travers ondulations et formes», soulignant au passage le fait que «Melehi est capable de créer des peintures regorgeant de références et d’allusions qui les rendent uniques en leur genre».
Et de conclure que le peintre «est un moderniste marocain des plus brillants, et nous devrions être reconnaissants de savoir que cela existe!».
De son côté, le très prestigieux quotidien The Guardian, est tout aussi enthousiaste à l’égard de cet artiste pionnier. Il lui consacre un long article intitulé «Comment Mohamed Melehi est devenu le maître marocain du modernisme?». Pour répondre à la question, le journaliste a choisi de parler de cette exposition à la lumière de la vie de l’artiste, ou du moins d’une partie de celle-ci, en mettant l’accent sur la période américaine de Melehi, dans les années soixante.
Partir… pour mieux revenirAgé aujourd’hui de 82 ans, Mohamed Melehi a vécu une dizaine d’années à l’étranger, rappelle cette publication britannique, avant de retracer son épopée outre-Atlantique. Etudiant à l’Académie Royale des arts à Séville, il parfait son éducation artistique dans les musées de Rome puis de New York avant de recevoir, en 1962, une bourse pour étudier à l’Université Columbia de cette même ville.
Un financement, rappelle The Guardian, en se basant sur des documents de l’époque, qui faisait partie intégrante d’une stratégie visant à diffuser les valeurs américaines modernes au monde en voie de développement ou, d’unifier, de maintenir et d’élargir la solidarité amicale qui unit ou devrait unir tous les êtres civilisés.
C’est donc ici, à Big Apple, qu’il s’installe, «dans un studio situé à l’étage en-dessous de celui de l’artiste pop Jim Dine». C’est ici aussi qu’il fera la rencontre de Franck Stella, puis de Robert Rauschenberg et de Jasper Johns. «A ce stade, le travail de Melehi est encore austère» rappelle The Guardian. Un style artistique qui mue et laisse place à un «kaléidoscope de couleurs», donnant à voir un «sentiment de liberté psychédélique» lorsque l’artiste commence à intégrer le motif des ondulations, caractéristique, depuis, de son œuvre.
En 1963, Melehi intègre l’exposition Hard Edge consacrée à la peinture géométrique et à la sculpture au MoMA. «La peinture Hard Edge m’a fait redécouvrir l’abstraction inhérente à l’art islamique», explique l’artiste. «L’art marocain a toujours été Hard Edge» annonce-t-il, en prémisse de la future démarche artistique qui le guidera à son retour au Maroc.
Les termes de sa bourse d’études lui imposant de devoir rentrer dans son pays d’origine une fois ses études terminées, Melehi regagne donc le Maroc, huit ans après l'indépendance.
Le retour dans un pays à réinventerMelehi retrouve le Maroc «dans un état d’urgence», explique The Guardian. «L’atmosphère politique était très tendue. Les gens essayaient de revendiquer leur liberté et leur droit de vivre sous un régime démocratique», explique Melehi, qui pressent alors que l’art a un rôle à jouer dans ce contexte. D’autant plus que l’expression artistique permet de protester pacifiquement.
Dans son article, The Guardian retrace ainsi, pas à pas, l’histoire de ce pionnier qui, en 1969, en compagnie des artistes membres de l’école de Casablanca, se rend à Marrakech pour organiser une exposition dans les rues, plus précisément sur la Place Jemaâ el Fna.
Au sujet de cette exposition-manifeste, véritable pied-de-nez à un salon d’art marocain officiel organisé dans le même temps, Melehi explique: «nous avons pris position contre le gouvernement. Nos œuvres sont restées accrochées à Jemaâ el Fna pendant une semaine, exposées au soleil et au vent. C’était un message idéologique sur ce que l’art pourrait être.»
Mais ce retour au Maroc s’apparente aussi, et surtout, comme le souligne Time Out, à la volonté de développer un nouveau langage visuel. «Un langage qui reflèterait sa culture, et l’aiderait à se former.»
Le résultat, à découvrir dans cette exposition londonienne, est «une œuvre faite d’ondulations, de formes qui s’entrecroisent, de couleurs inondées de soleil et de méandres de motifs visuels», décrit la publication britannique qui s’attarde sur l’obsession passionnelle de Melehi pour l’histoire de la culture visuelle du Maghreb, à travers les colliers et boucles d’oreilles, les tapis et les vêtements. «On peut clairement distinguer cette influence partout dans l’exposition», conclut The Guardian.
«Mon interrogation était: que peut-on trouver au Maroc qui soit l’expression de la modernité?», explique à cet effet Mohamed Melehi à The Guardian. Pour trouver réponse à cette interrogation, le compagnon de Mohammed Chabâa et de Farid Belkahia encourageait ses élèves de l’école des Beaux Arts de Casablanca à se rendre dans le monde rural, pour y étudier de plus près l’artisanat berbère et l’architecture. Objectif: développer une modernité détachée de tout code esthétique occidental, mais inspirée de la culture locale.
«Ses peintures, leur palette joyeuse, leurs motifs, sont toujours l’objet de la fascination d’un nombre croissants de connaisseurs. C’est la sensualité de son travail, la manière d’apparence facile avec laquelle il fait se rencontrer modernité et tradition, qui témoigne encore de son radicalisme», conclut, enthousiaste, The Guardian.
En tout cas, il est très rare de voir un artiste peintre marocain célébré de façon aussi déterminée, et enthousiaste, dans l’un des trois centres mondiaux des arts plastiques. On savait que Melehi était un grand peintre, mais on ignorait à quel point son originalité s’imposait de façon évidente à l’international.
«New Waves: Mohamed Melehi and the Casablanca Art School». A la galerie Mosaic Rooms, à Londres, jusqu’au 22 juin 2019.