Dans sa galerie casablancaise, où sont exposées d’incroyables et imposantes sculptures de bronze, Sahbi Chtioui ne décolère pas. Cet artiste dont la réputation n’est plus à faire dans le monde et que l’on surnomme l’Albatros de bronze se retrouve au cœur d’un conflit qui fleure bon l’injustice.
L’artiste bien connu du grand public pour exposer régulièrement ses œuvres de bronze, son matériau de prédilection, aux quatre coins du Maroc dans l’espace public, mais aussi pour ses expositions d’envergure, se retrouve aujourd’hui dans l’incapacité de récupérer l’une d’entre elles, prêtée à un établissement scolaire français, le lycée Massignon devenu aujourd’hui le lycée Alphonse Daudet, à Ain Sbaâ, à Casablanca.
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L’affaire commence en 2015 lorsque Sahbi Chtioui se voit proposer par André Richaud, le proviseur de l’époque, grand amateur de son art, d’organiser une exposition dans l’établissement qu’il dirige, le lycée Massignon, à Ain Sbaâ. L’artiste accepte de bon cœur, heureux de pouvoir participer ainsi à l’éveil artistique des élèves. Mais pris dans la réalisation d’une exposition d’envergure à cette même période, celui-ci propose alors au proviseur de lui prêter une œuvre, en l’occurrence une sculpture-fontaine qui répond au nom de «L’enfant à la grenouille».
Cette sculpture est la réplique presque identique d’une autre sculpture dont il a fait don quelques années auparavant à un autre établissement scolaire, dans le même quartier, «La fille à la grenouille». C’est là que s’arrête la comparaison, car dans l’affaire actuelle, il n’est pas question de don, mais de prêt. La chose est d’ailleurs entendue entre le proviseur de l’établissement et l’artiste, à qui on assure qu’il pourra récupérer son œuvre quand bon lui semblera.
Les années passent, les expositions se succèdent, les heures s’écoulent dans l’atelier où Sahbi Chtioui travaille au corps à corps son précieux métal… Mais par une belle journée de 2021, il décide que le temps est venu de récupérer la sculpture. C’est là que l’affaire se corse car entre temps, le lycée a changé d’appellation et de proviseur.
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Qu’à cela ne tienne, Sahbi Chtioui ne pense pas une seconde qu’un problème pourrait survenir. Celui-ci prend contact avec la direction du lycée Alphonse Daudet, nouveau nom de l’établissement qui occupe désormais les lieux, mais ne parvient pas à parler de vive voix avec la nouvelle proviseure, Isabelle Furno. Il téléphone, laisse des messages, envoie des mails… en vain. L’artiste se heurte à un mur de silence.
Il décide alors de se rendre directement sur place, accompagné d’un huissier de justice, et avec un camion, pour y placer, pensait-il alors, sa sculpture qu’il croit pouvoir récupérer. Mais là encore, c’est à des portes closes qu’il se heurte cette fois-ci, car l’établissement refuse tout bonnement de le laisser entrer.
Désemparé et furieux, il se tourne alors vers l’ancien proviseur de l’établissement, cet ami avec lequel il est resté en contact, et qui accepte de rédiger une attestation dans laquelle il certifie que le dépôt de la sculpture «n’a donné lieu à aucun document, ni à aucune facturation» et que suite au déménagement du lycée Massignon en 2016 dans la province de Bouskoura, «il n’a été donné aucune suite au dépôt de cette œuvre au sein des anciens locaux». Autrement dit, la sculpture n’a été ni vendue, ni donnée.
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Sur la base de cette lettre, Sahbi Chtioui représenté par Meryam Emmanuelle Bennani, avocate au barreau de Casablanca, contacte également par courrier recommandé l’Office scolaire et universitaire international (OSUI) à Paris, dont dépend le lycée français international Alphonse Daudet de Casablanca, dans la cour duquel la sculpture est toujours exposée. Aucun retour… si ce n’est que par avocat interposé, l’établissement finit par affirmer qu’il s’agissait en fait, d’un don de l’artiste.
L’artiste, qui a saisi la justice et espère toujours avoir gain de cause, ne comprend pas un tel comportement qu’il juge «d’une arrogance folle». «J’ai déjà fait don de quelques œuvres, là n’est pas le problème. D’ailleurs j’ai même offert l’une de mes sculptures au Lycée Lyautey de Casablanca sur la base d’un écrit officiel. Mais dans le cas présent, il n’a jamais été question de don, mais d’un prêt», explique l’artiste pour Le360.
Contacté par Le360 par courriel et appel téléphonique afin de réagir à cette affaire et apporter son point de vue, la direction de l’établissement Alphonse Daudet a observé le même silence qu’avec l’artiste, choisissant de ne pas répondre à notre média.
Pendant ce temps-là, la mobilisation autour de l’artiste s’organise sur les réseaux sociaux, canal à travers lequel il a décidé de rendre l’affaire publique mais aussi sous la forme d’une pétition lancée par ses nombreux soutiens afin de réclamer la restitution de «L’enfant à la grenouille» à son créateur.
«Le maître sculpteur dispose du droit au respect de son œuvre. Ce droit moral lui permet de s’opposer à toute atteinte à portée à l’esprit de son œuvre», écrit-on ainsi dans un texte de soutien à Sahbi Chtioui où est brandi, à juste titre, l’article L.121-1 du code français de la propriété intellectuelle. Celui-ci stipule ainsi que «l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur». Et de poursuivre, «le lycée français Alphonse Daudet bafoue les lois de son système judiciaire sur le sol marocain».
Sahbi Chtioui est un artiste tunisien, qui vit au Maroc depuis plus de 45 ans. Ses œuvres ont intégré plusieurs collections prestigieuses, autant au Royaume que dans plusieurs pays du Moyen-Orient.