Un pan d’Histoire avec Hajar Nesr, ultime refuge des Idrissides en pays Jbala

Mouna Hachim.

ChroniqueCe Nid d’Aigle raconte une page insuffisamment explorée relative à la fondation, par les Idrissides, d’un deuxième État après leur expulsion de Fès.

Le 08/03/2025 à 12h03

Dans la liste des lieux de mémoire méconnus, malgré leur haute valeur historique, se trouve la forteresse de Hajar Nesr, Roc de l’Aigle fondé par un membre de la famille idrisside chez les Soumata, dans le Rif occidental, exactement dans la Commune de Zaâroura incluse dans la province de Larache.

Ne vous attendez pas à trouver un panneau indiquant le site depuis les chemins plus balisés, ni à une fiche descriptive sur place! Les principales informations sont livresques et contrastent par leur richesse avec l’état de négligence.

L’endroit n’en reste pas moins grandiose dans son isolement et dans la sobriété lunaire de ses rares vestiges en pierres, surplombant la région environnante du haut du roc imprenable où se niche, en contrebas, le mausolée du prince idrisside Ahmed Mezouar.

Ce dernier, mort en l’an 250 de l’Hégire (864 de l’ère commune), est le fils d’Ali, fils de Mohamed, Imam successeur de son père Idris II à Fès.

Renonçant au pouvoir pour se vouer au mysticisme, Mezouar est le premier de la lignée des Béni Mohamed à quitter la capitale pour s’installer en pays Jbala, chez les Soumata, avant d’envoyer son fils Sellam chez les Beni Arouss voisins, où ses descendants jouirent d’une belle renommée avec pour figure révérée, née près de six générations plus tard, la perle du soufisme Moulay Abd-Salam ben Mchich.

À cette dimension spirituelle qui auréolait les lieux s’ajouta le volet politique depuis la fondation d’une forteresse édifiée, comme l’affirme le géographe al-Bakri, en 317 de l’Hégire (929), alors qu’Ibn Khaldoun donne la date de 313 (925-6), ce qui semble plus plausible au regard des dates des événements.

Impossible, à ce stade, de ne pas s’arrêter sur le contexte politique marqué par les offensives des Fatimides basés en Ifriqiya, d’où ils avaient chassé les Aghlabides fidèles aux califes de Bagdad.

En 917, le général berbère d’obédience fatimide et gouverneur de Tahert, Messala ben Habbous le Meknassien, assiégea l’Idrisside Yahya dans sa capitale jusqu’à sa capitulation, le paiement d’un tribut et la signature d’un serment de fidélité et d’allégeance au calife fatimide Ubayd-Allah al-Mahdi.

Messala retourne alors sur ses pas et laisse au prince zénète meknassien Moussa ibn Abi al-Afiya, alors maître du Tsoul et de Taza, l’administration du pays au nom des Fatimides, à l’exception de Fès, avec laquelle un accord de paix est signé, de courte durée puisqu’il est rompu lors de la deuxième campagne militaire de Messala, soldée en 921 par la destitution de Yahya.

Dépouillé et exilé à Assilah, celui-ci est ensuite accueilli dans le Rif par ses cousins, mais ne se résigne pas à se contenter de leur aumône, préférant se rendre en Tunisie, où le terrible Moussa lui barre le chemin et le met aux fers pendant vingt ans. Il succomba dans la détresse et la famine à Mahdia, alors en pleine révolte, dans une longue descente aux enfers, exauçant ainsi la malédiction de son père, qui aurait prié Dieu de faire mourir son fils de faim dans un pays étranger.

Pendant ce temps, un autre prince idrisside, réputé pour être un valeureux guerrier, issu de la lignée de Qassim fils d’Idriss II, basé dans son fief du Rif, réunit une armée dont il prit la direction.

Nommé Hassan, surnommé par son oncle al-Hajjam, dans le sens de phlébotomiste, celui qui frappe al-mahajim (les veines du bras, endroit où l’on pratique la saignée), il tente de reprendre Fès de la mainmise fatimide à la suite de son infortuné cousin.

Parvenant à éliminer le nouveau gouverneur à la solde des Fatimides, et à régner sur Fès, ainsi que sur Meknès ou le Gharb, il livre, une année plus tard, une bataille victorieuse contre les troupes de Moussa al-Afiya près de Taza, sur les bords de l’Oued Matahine, où il réussit à tuer 2.300 hommes, dont Minhal, le fils du prince zénète.

Mais le triomphe d’al-Hajjam est de courte durée, étant trahi par son vizir, qui profite de sa précipitation maladroite pour fermer les portes de la cité avant l’arrivée de ses troupes, le mettre en prison et appeler Moussa al-Afiya afin de lui livrer son ennemi.

Sa tentative d’évasion de nuit et sa mort des suites de sa chute du haut des remparts, après environ deux ans de règne, devaient marquer, en 925, l’expulsion de tous les Idrissides de Fès.

C’est le début du règne des Zénata qui occupent la ville pendant près d’un siècle jusqu’à leur débâcle sous le règne des Almoravides…

Quant aux Idrissides, dépouillés de leurs possessions comme Fès ou Assilah, ils se retranchent dans la citadelle de Hajar Nesr fondée par un membre de la famille, selon les versions par le frère de Hassan al-Hajjam ou par son fils.

Ce sera leur ultime refuge en temps de crise où ils continuèrent à subir les assauts de leur implacable ennemi.

Il a fallu attendre la défaite de ce dernier près de Msoun, face à la puissante armée dépêchée par le Fatimide Ubayd-Allah, qui le châtia pour son insubordination et son penchant envers les Omeyyades, pour voir les Idrissides surgir de leur Nid d’aigle dans une volonté de reprise du pouvoir.

À défaut de rétablir les royaumes de leurs ancêtres en toute indépendance, ils essayèrent de composer, selon les circonstances, avec les puissances en action, d’abord les Fatimides, qui les avaient libérés de leurs persécuteurs zénètes.

C’est ainsi que Qassim Guennoun établit son autorité sur la région (excepté sur Fès) de 937 jusqu’à sa mort à Hajar Nesr en 948, en choisissant la suzeraineté fatimide alors que ses cousins Ben Omar, dont le fief se trouvait à Sebta, étaient alliés aux Omeyyades.

Son héritier et successeur fut son fils Abou-l-Aïch Ahmed ben Guennoun, résidant à Assilah et rangé sous la bannière des Omeyyades, mort en 959 au combat contre les chrétiens en Andalousie.

Le pouvoir échoit alors officiellement à son frère Hassan ben Guennoun, qui assurait déjà l’intérim en son absence et dont la capitale était Basra, située à environ 20 km de Ksar el-Kebir.

Pressé à la fois par les puissances fatimide et omeyyade en compétition, il reconnaît la suzeraineté d’Abd al-Rahmane, puis de son fils al-Hakam, avant de passer à l’autre camp avec l’arrivée en 958 de l’imposante armée fatimide sous la direction de Jawhar le Sicilien. Il renouera ensuite avec les Omeyyades après le départ des troupes chiites en 960, pour les lâcher à nouveau à la faveur de l’arrivée des armées fatimides sous les ordres de Bologuine.

Exaspérés par ces changements d’alliances, les Omeyyades lui envoient un premier corps expéditionnaire à la fin de l’année 973, qui réussit à lui prendre Tanger et Assilah, mais sans remporter de victoire décisive en raison de la mort du chef de l’armée omeyyade.

Une autre expédition plus virulente est alors dirigée par le chef de l’armée califale al-Ghalib, qui réussit à le contraindre à quitter Basra avec sa famille et ses biens pour se retrancher dans son Nid d’aigle de Hajar Nesr, d’où il fut délogé et déporté à Cordoue avec les siens.

Au terme de quelques péripéties croustillantes qui méritent un récit à part entière, il parvint à regagner Fostat, en Égypte, où il sera l’hôte du calife fatimide et effectue, de là, un retour au Maroc en 983 avec l’assurance de recouvrer son royaume.

Mais c’était compter sans la réaction des Omeyyades qui, par son assassinat, signent la fin définitive de la dynastie idrisside, dont les représentants furent éparpillés en Andalousie, parmi les tribus arabes et berbères, ainsi que dans les oasis sahariennes.

Pour seuls vestiges de ce deuxième État dans le Rif subsistent quelques pierres de cette citadelle, voulue inexpugnable, nous rappelant l’erreur de cantonner le siège du pouvoir idrisside à la seule ville de Fès.

Par Mouna Hachim
Le 08/03/2025 à 12h03

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