Malhoun signifie un poème mélodique, écrit en dialecte arabe et non en arabe classique. Cette poésie, appelée zajal, ne respecte pas la forme de la poésie classique.
Le mot viendrait de lahana (non conforme à la règle). Le malhoun est composé d’au moins 5.000 chansons, dont les poèmes sont appelés qacida, qçayède au pluriel.
Il est né dans le désert, chez les bédouins du Tafilalet, avant de se développer chez les citadins à Fès, Marrakech, Errachidia, Meknès, Salé, Taroudant, Essaouira, où il s’est enrichi et avant de se propager dans les pays maghrébins.
Les grands poètes ont été érudits ou analphabètes, commerçants, artisans et même un roi, Mohammed Ben Abderahman (19ème siècle).
C’est au 15ème siècle, sous la dynastie amazighe des Bani Wattas qu’est né cet art. La qacida la plus ancienne serait «El-harbi» d’Ibn Aboud: il décrit la guerre entre les Bani Wattas et les Saadiens.
Le malhoun a prospéré au 16ème siècle avec Abderrahman El Majdoub, originaire d’El Jadida, très populaire dans tout le Maghreb. Il dénonce l’injustice, le mal et les fléaux de la société. Connu pour son sarcasme, il a été acerbe avec les femmes!
Essaouira, au 19ème siècle, a également enrichi le malhoun avec le cheikh Mohamed Benali, originaire de Demnate, né à Safi, décédé en 1931. Adepte de la confrérie des Aissaoua, il a composé plusieurs chants religieux et la magnifique qacida «Chamâa» (la bougie): il dialogue avec la bougie et lui rappelle qu’elle se consume sans disparaître. Son énergie la maintient en vie et la fait rayonner. On lui doit également «Lfalaka» (bâton pour taper les enfants) et «El warchane» (la colombe) où il exprime son amour pour sa ville.
Le malhoun est l’expression de la liberté de la pensée. Les poètes ont abordé des sujets divers, illimités, parfois tabous: éloge du Prophète et des saints, voyages, conquêtes, politique, orgueil, trahison, description de la nature, conseil et leçons de vie, humour, amour, beauté des femmes et tous les aspects de la vie.
La poésie mystique, très présente, égaye nos fêtes: ana mani fiyache (de quoi je me plains)? Je me lamente sur mon sort alors que Dieu est mon réconfort (Sidi Bahloul Cherki, 17ème siècle).
Les thèmes peuvent être politiques. La plus célèbre qacida est «Nahla» (abeille) de Thami Mdaghri (Tafilalet, 18ème siècle), reprise par la mythique troupe Nass El Ghiwane.
Il y a aussi «Zerda» (festin) de Mohamed Benali, un hymne à l’art culinaire marocain.
L’amour tient une place particulière: souvent platonique, souffrances et fantasmes de l’amoureux, description du corps féminin… dans un délicieux langage, alliant audace, romantisme et beauté du verbe.
Parmi les plus célèbres, «El harraz», qui a été adaptée au théâtre. Le poète, El-Mekki Ben El-Qorchi, originaire d’Azemmour, à la fin du 19ème siècle, était un conteur aveugle qui occupait les places publiques, un petit singe sur l’épaule: un riche d’Elhijaz arrive à Azemmour et reçoit en don la belle Aouicha, qu’il enferme. Son fiancé utilise des ruses pour la délivrer. Une rivalité entre deux hommes pour l’amour d’une femme, contée avec humour.
Sidi Kaddour Alami, soufi et grand poète du 18ème siècle, de Meknès, auteur de «Kif Iwassi»: comment supporter la séparation d’avec son amour? Il écrit aussi «N’avez-vous pas honte, ô gens de Meknès?», qacida chantée par le grand maître algérien Alanka. Sidi Kaddour aurait donné sa maison pour une mosquée qui n’a pas été construite. Il l’a récupérée péniblement. Le malhoun dénonce les injustices et donne une morale: «Ma perte et ma ruine furent de m’être fié à l’être humain». Il est enterré dans sa maison, devenue un mausolée.
Le malhoun chante les affres de l’amour: «Mon amour! Flammes de mes journées, sans toi mon corps brûle tel un four!», extrait de «Zatma» (audace) de Jilali Mtired (18ème siècle).
Moins souvent, l’amour est partagé: dans «Koulkhale Ouicha» (chaînette de cheville) de Jilali Lehlou (17ème siècle), l’amoureux a perdu le khoulkhale offert par sa bien-aimée. Il ne put le retrouver qu’après l’intervention d’un djinn. À sa bien-aimée, il se confie: «J’ai mis ma tête sur ses seins et je lui ai raconté toutes mes souffrances, dues à la perte de sa chaînette.» Elle répond: «Le regard de l’amant vaut plus que mille chaînettes.»
Plusieurs qçayèdes portent le nom de femmes: «Rita», «Nezha» et «Leghzal Fatma», description minutieuse du corps de la belle Fatma, aimée en secret et dans la tourmente.
Parmi les poèmes érotiques, Driss Benali a écrit la qacida «louwatiya», la plus osée que j’aie jamais lue: il décrit un acte sexuel dans le dialecte le plus cru! (Diwan Driss Benali, 2012).
Une des grandes figures contemporaines du malhoun fut Houcine Toulali, décédé en 1998, poète, auteur et compositeur qui a enrichi ce répertoire et l’a sauvegardé en créant une école du malhoun à Meknès.
Le malhoun c’est aussi le burlesque: dispute entre gadra (marmite en terre cuite) et cocotte-minute, entre thé et café. Et entre téléphone fixe et portable (Ismail Alaoui Selssouli, décédé en 2010).
La musique andalouse est pour l’élite et la bourgeoisie car les poèmes sont en arable classique, inaccessibles à la masse. Le malhoun, dans la langue parlée, est populaire et indissociable de l’artisan marocain: les artisans chantaient, en chœur, pendant qu’ils travaillaient pour égayer leurs journées. Les voix, les applaudissements et les instruments faciles à acquérir, telle que ta’rija (tamtam), suffisaient pour renforcer le vivre-ensemble.
Le malhoun a été un art masculin jusqu’aux années 80, où Touria Hadraoui, par sa voix, a ouvert la voie à d’autres femmes.
Le malhoun n’attire pas beaucoup les jeunes, qui trouvent les chansons longues et monotones. Mais certaines qçayèdes ont été reprises par des jeunes musiciens et ont eu du succès.
Reste à souhaiter que les précieux poèmes soient archivés pour conserver ce prestigieux patrimoine.