Il a été, et restera, un des plus grands génies de la peinture et du cinéma. Grande figure artistique non seulement au Maroc, mais aussi dans tout le monde arabe et en Afrique, Mohamed Abouelouakar n’est plus. Il a rendu l’âme hier, jeudi 1er septembre, à Elektrostal, en Russie, où il avait l’habitude de séjourner pour y avoir sa famille. «C’est une immense perte pour l’art et pas seulement au Maroc, mais dans le monde», témoigne son ami proche, le grand journaliste marocain Mohamed Jibril, auteur de plusieurs livres sur Abouelouakar, et qui nous confirme son décès, survenu suite à une maladie.
Né en 1946 à Marrakech, Mohamed Abouelouakar s’est consacré à la peinture après une riche carrière au cinéma. L’artiste a poursuivi, de 1966 à 1973, des études supérieures à l’Institut national de la cinématographie de Moscou. Cette époque fut pour Abouelouakar, celle d’une initiation aux œuvres des grands maîtres de la peinture tant russe qu’occidentale.
Hadda, le long-métrage qu’il a réalisé en 1984, lui a valu le grand prix du 2e festival national du film marocain. Abouelouakar est aussi photographe d’art.
Tout comme sa peinture est hantée par le cinéma, ses films et ses créations photographiques sont habités par la peinture. En 1990, il compose un ensemble de photos intitulé Contes soufis, véritable scénographie de tableaux figurant une quête de la grâce intérieure.
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Son expérience du 7e art a beaucoup marqué ses œuvres peintes, dans lesquelles les compositions sont savamment orchestrées, mises en scène, théâtralisées. Dans les années 1980, où l’artiste a commencé à travailler et à vivre par alternance entre le Maroc et la Russie, sont apparus et, depuis les années 1990, ont gagné en ampleur, les thèmes et les formes de sa propre mythologie qui allaient devenir la marque singulière de sa création picturale.
«La voie était prise d’une recherche esthétique qui s’approfondit en se renouvelant, comme en témoigne toujours sa production durant les dernières années. C’est ainsi qu’à côté de grands formats devenus encore plus amples, celle-ci s’est enrichie d’une grande variété de toiles de diverses dimensions et de plusieurs séries de miniatures sur papier, et surtout sur écorce de bouleau, rencontre vivifiante et originale entre les traditions marocaines et celles des miniatures de l’Orient arabo-persan et des icônes russes», indique une biographie qui lui est consacrée à la galerie d’art L’Atelier 21.
Les tableaux de Mohamed Abouelouakar sont influencés par le lyrisme russe et la miniature byzantine. Nombre de ses anciens tableaux se caractérisent par des couleurs vives et un foisonnement de figures qui ne laissent pas une parcelle de la toile sans traitement.
On retrouve, dans ses œuvres, un corpus de figures, de symboles et une atmosphère, empruntés au répertoire occidental, mais toujours réinterprétés selon le prisme et les références de sa propre culture.
Une présence se dégage des œuvres d’Abouelouakar, elles interpellent par leur réalisme féroce et leur foisonnement de détails. Nul ne peut rester indifférent devant un tableau de l’artiste. Le propos de l’artiste est celui de l’intemporalité qui est au cœur de la condition et du destin de l’homme face à soi, au monde et à l’Etre, à la fois changeant et invariant. D’où la fréquence des allégories, des scènes d’une mythologie réinventée des signes et symboles répétitifs, mais qui ne se résument pas à une signification linéaire et procèdent le plus souvent d’une distanciation et d’une ironie portées par un jeu démultiplié de nuances.
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«Dans chaque œuvre de Mohamed Abouelouakar, l’ensemble, est le produit de la savante mise en scène d’une profusion de détails et de l’hétérogénéité des plans et des rythmes», lit-on dans la biographie précitée.
L’artiste était très sensible à l’exemple des mystiques et leur incessant désir de régénérer le sens sur la voie de la vérité alors que le monde réel en est souvent la négation. C’est à travers les récits poétiques du «Mantiq at-Tayr» de Farid al-Din Attar ou les poèmes et fables du «Mathnawi» de Djalâl Eddine Rûmi qu’il aimait à conforter ce désir qui n’est pas seulement une invocation rituelle ou une évasion morale. Il y enrichissait son goût du langage métaphorique et de l’allégorie qui, à travers des images, touche la sensibilité autant que l’esprit et qui conserve à l’Etre sa dimension mystérieuse autant que sa présence multiforme et sensible.
Mohamed Abouelouakar était capable de travailler sur de petits formats comme sur des surfaces monumentales. Son intervention, en 2005, sur le phare Al Hank à Casablanca montre sa capacité à habiller de grandes surfaces.