Ce livre, intitulé Dans les yeux du ciel, est une plongée lumineuse dans l’univers glauque d’une prostituée et mère de famille, Nour, qui vit dans un pays que l’on ne désigne pas, mais sur lequel a soufflé le vent révolutionnaire des printemps arabes.
«C’est le temps des révolutions. Une femme interpelle le monde. Elle incarne le corps du monde arabe. En elle sont inscrits tous les combats, toutes les mémoires douloureuses, toutes les espérances, toutes les avancées et tous les reculs des sociétés» ,peut-on lire sur le site des éditions Le Seuil qui ont publié en août le dernier ouvrage de Rachid Benzine, enseignant, chercheur et islamologue.
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La liberté incarnée par la femmeDans les yeux du ciel pose une question fondamentale: toute révolution mène-t-elle à la liberté? Et qu’est-ce finalement qu’une révolution réussie? Des questions fondamentales dont a débattu Rachid Benzine avec François Busnel sur le plateau de l’émission «La grande Librairie».
Qualifiant d’emblée ce roman de «bouleversant», François Busnel interroge ainsi son invité sur la manière dont Internet a joué un rôle déterminant dans les printemps arabes il y a quelques années, mais a aussi changé le quotidien des prostituées dans un pays où l'hypocrisie est dédoublée par l'usage d'Internet.
«Nour, à travers sa chambre qui est une espèce de miniature de la société, reçoit à la fois le gouverneur qui est le représentant du pouvoir qui est en train de tomber, elle reçoit l’islamiste, c'est-à-dire le nouveau pouvoir qui essaie d’instaurer le califat. A travers cette mise à nu de Nour est mise à nu la vérité d’une société. La question du corps est très importante dans la question de la révolution et il y a là quelque chose de vrai qui se dit sur ces sociétés», explique ainsi Rachid Benzine.
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Internet, la voie vers la liberté?
Au-delà de la question du corps, celle de la numérisation de la société l’est tout autant à l’heure de la révolution et du combat pour les libertés. En effet, décrète Nour, page 31, «le téléphone portable et Internet ont révolutionné nos métiers». Mais de quelle façon?
«Tout d’abord, parce que ça lui permet de faire un choix parmi ses clients et de dire non ou pas. Cela lui permet de pouvoir organiser sa vie entre la prostitution, et la vie de sa fille qui ne sait pas quel métier elle fait», répond à la place de son héroïne Rachid Benzine qui considère ainsi que Nour, alias Fatima l’avocate qu’elle prétend être, considère ainsi l’outil internet comme un moyen de se protéger «en lui offrant un espace de liberté de choix», un endroit où elle ne subira pas certaines violences.
Mais pourquoi avoir décidé de se mettre dans la tête et le corps de cette prostituée et pourquoi avoir raconté les choses de façon aussi frontale, bouleversante, crue et violente?, l’interpelle François Busnel.
«Parce que la réalité est violente et que le féminin est au cœur des révolutions. On le voit même aujourd’hui dans notre société française», rétorque Rachid Benzine en mentionnant plus précisément «le rapport au corps, la manière dont les femmes sont assignées, la manière dont on se les représente, la question de la place des femmes, du pouvoir».
«Il m’a semblé qu’à travers la question des femmes se dit l’altérité d’une société. Il suffit de voir comment on traite les femmes dans une société pour savoir comment on traite aussi les autres minorités, c'est-à-dire les étrangers, les réfugiés, mais aussi les homosexuels», poursuit l’écrivain en mettant en exergue une question fondamentale de son livre: «comment fait-on dans une société pour que chacun puisse exister et se dire tel qu’il est?»
La révolution, le doux rêve des poètes
Cette question cruciale trouve notamment des éléments de réponse dans la vie de Slimane, homosexuel, leader de la révolution dont Nour est amoureuse.
Pour Slimane, le rêveur, le poète, la révolution portée par Iternet va enfin lui permettre de dire qui il est. «Est-ce que nous, le petit peuple de l’ombre, on pourra un jour exister en pleine lumière?», questionne à sa place Rachid Benzine, désireux de mettre en valeur la vérité du sujet et du citoyen à travers le prisme des révolutions.
Pour l’écrivain et islamologue, «il y a un lien entre la poésie, la littérature et la révolution qui est très fort, car cela permet le bouleversement de l’existence des individus par l’imagination qu’ouvre Internet et que peut ouvrir une révolution». A titre d’exemple, «quand on lit un livre qui nous bouleverse, d’un seul coup, il crée un monde et ce monde-là rentre en concurrence avec le monde réel», poursuit-il en précisant que «c’est dans cet espace-là qu’on va pouvoir rêver».
Pour Rachid Benzine, «Internet a permis que la circulation de l’information se fasse là où elle n’était plus du tout possible. Cela a permis de mobiliser des gens, de créer une narrativité dans les réseaux sociaux qui montre la réalité autrement».
Le mot de la fin revient à Nour qui a bien du mal à rejoindre la révolution, «parce qu’elle y voit des choses qui ne lui plaisent pas», explique Rachid Benzine.
«Elle ne s’engage jamais parce qu’elle est dans une condition de survie, elle connaît trop bien les hommes et elle ne croit pas dans des lendemains qui chantent», poursuit-il avant de citer son héroïne qui dans un éclair de sagesse déclare: «la révolution, ce n’est pas fait pour les rêveurs. C’est facile de faire une révolution, la démocratie c’est beaucoup plus difficile».