Affaire Leila Benali-Andrew Forrest: du vrai commérage sur fond d’un faux conflit d’intérêts

Le milliardaire australien Andrew Forrest et la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali. (Y. El Harrak/Le360).

Le milliardaire australien Andrew Forrest, patron de Fortescue, et Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable. (Y. El Harrak / Le360).

Une supposée romance entre la ministre marocaine de la Transition énergétique et la deuxième plus grande fortune en Australie a provoqué une véritable levée de boucliers, notamment contre Leila Benali, sur fond de grasses rumeurs et d’accusations de conflit d’intérêts. Mais qu’en est-il réellement? Éléments de réponse.

Le 28/05/2024 à 10h17

Une chose est certaine: la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, se serait bien passée de la tempête, sur fond de grasses rumeurs, de mauvaises plaisanteries et d’atteinte à la vie privée, dont elle a été la victime collatérale. Celle-ci concernait au premier chef le richissime homme d’affaires australien Andrew Forrest, deuxième fortune du pays, patron du géant Fortescue -leader mondial d’énergie verte, de métaux et de technologies-, dont les moindres faits et gestes sont scrutés, filmés et commentés dans les tabloïds australiens, et par extension britanniques.

Il aura ainsi suffi d’un cliché, publié en premier lieu par la version australienne du sulfureux Daily Mail et repris notamment par le grand tirage The Australian, pour qu’une véritable onde de choc se fasse sentir, de Melbourne à Rabat. De quoi s’agit-il? D’un moment d’intimité du même Andrew Forrest, immortalisé en plein 4ème Arrondissement de Paris et en public, daté de la semaine écoulée, avec une mystérieuse «inconnue». D’après la même presse britannique, il s’agirait… de Leila Benali.

Si, en Australie, la «romance» présumée a fait scandale, c’est parce que le riche homme d’affaires est en instance de divorce avec Nicola Forrest. «Le couple est séparé, mais techniquement toujours marié», indique The Australian. Et de supposer que la relation qu’il entretiendrait, en attendant, l’unit à la ministre marocaine, elle-même divorcée.

Il en veut pour «preuves» qu’elle s’est à maintes reprises retrouvée dans l’orbite de celui qu’on surnomme «Twiggy», notamment en le recevant, ainsi qu’une délégation de Fortescue, en février dernier à Rabat, ou en le croisant à Davos un mois plus tôt.

Tout comme Benali se trouvait récemment à Paris dans le cadre de ses fonctions, à peu près au même moment que le patron de Fortescue.

Le 23 mai dernier, Leila Benali était également parmi les convives lors des célébrations de la fête nationale australienne, organisées à l’ambassade d’Australie à Rabat et sponsorisées, entre autres, par le même Fortescue.

Conflit d’intérêts? Quel conflit d’intérêts?

D’un côté comme de l’autre, le silence règne. Andrew Forrest, à la tête d’une fortune de 25 milliards de dollars au dernier décompte, s’est refusé à tout commentaire. Idem pour Leila Benali. Toutefois, interrogée hier lundi par le confrère ChoufTV dans les couloirs du Parlement, la responsable marocaine a lâché être une «cible depuis plus d’un an» et qu’elle allait «riposter».

Dans son entourage, Le360 apprend que des procès pour diffamation, attaques ad hominem et atteinte à la vie privée sont en préparation. Mais on n’en saura pas plus.

Plus sérieusement, ce sont surtout les soupçons de conflit d’intérêts qui font d’une relation a priori consentie entre deux adultes une «affaire». Le scandale, si c’en est un, éclate au moment où Fortescue a annoncé, le 8 avril dernier, un projet conjoint avec le groupe OCP. Ce partenariat à parts égales, une joint-venture, entend fournir de l’hydrogène vert, de l’ammoniac vert et des engrais verts au Maroc, à l’Europe et aux marchés internationaux. Il comprend le développement potentiel d’installations de production et un hub de Recherche et Développement pour faire avancer l’industrie de l’énergie renouvelable en rapide croissance au Maroc.

À cette fin, le multimilliardaire australien était attendu cette semaine au Maroc pour des rencontres avec le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, mais aussi et surtout le chef du gouvernement Aziz Akhannouch.

«De ce partenariat, c’est d’abord le Maroc qui sort gagnant au vu du précieux transfert de technologie qui en est attendu, à un moment où le pays mise grandement sur les énergies renouvelables et en particulier l’hydrogène vert», précise un économiste qui balaie du revers de la main toute hypothèse de conflit d’intérêts. «À ma connaissance, Leila Benali n’a aucune action dans OCP et elle est encore moins associée dans une quelconque entreprise à même de tirer un profit direct des projets de Fortescue au Maroc», ironise notre source, précisant que ces partenariats dépassent de loin les considérations personnelles et engagent, côté marocain, tout le gouvernement.

Le PDG de Fortescue Energy, Mark Hutchinson, ne s’y trompait pas quand il soulignait que ladite joint-venture entendait en l’espèce «contribuer à faire du Maroc une puissance de production d’énergie verte, de fabrication et industrielle, avec des avantages significatifs à long terme pour le Maroc».

Et ce n’est pas tout. D’après le bien informé Africa Intelligence, le partenariat entre Fortescue et OCP pourrait donner une impulsion décisive aux relations économiques, encore timides, entre le Maroc et l’Australie et ce, dans des secteurs de pointe. «Il y a quelques mois, des entreprises australiennes spécialisées dans la production de batteries électriques au lithium avaient été approchées par les autorités marocaines. L’Australie, premier producteur mondial de ce métal, cherche à se positionner sur les projets de gigafactories de batteries électriques annoncés par le Maroc, dont une des grandes inconnues reste l’approvisionnement en ‘‘or blanc’’», lit-on.

L’Australie mise également sur ses similarités géographiques avec le Maroc et le risque partagé de sécheresse pour y prendre part à des projets de dessalement de l’eau de mer. Rubicon Water, spécialisée dans les technologies de gestion des grands périmètres d’irrigation, compte déjà une belle présence au Royaume. S’il y a certainement de l’intérêt, autant dire qu’en l’occurrence, il n’y a absolument pas conflit. Affaire à suivre.

Par Tarik Qattab
Le 28/05/2024 à 10h17