Rareté, irrégularité et répartition inégale des pluies dans les régions, baisse des superficies cultivées, et donc baisse anticipée des récoltes, exode rural lié à la sécheresse dans certaines localités sévèrement touchées… la situation du monde agricole est loin d’être rassurante, et selon les agriculteurs mêmes, le rendement de l’actuelle campagne risque d’être historiquement bas. «Le cumul pluviométrique enregistré jusqu’ici laisse entendre que, dans les meilleurs des cas, la campagne agricole 2023/2024 ne peut pas dépasser le niveau moyen. Elle risque même d’être mauvaise, voire très mauvaise», fait savoir cet agriculteur, basé dans la région du Gharb.
À la date d’aujourd’hui, le volume de pluviométrie durant la saison agricole a atteint 77 millimètres, en recul de 54% par rapport à la moyenne des 40 dernières années, et de 44% par rapport à la même période de l’année précédente, a indiqué, lundi, Mohamed Sadiki, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts. De quoi faire perdurer le cycle des sécheresses qui frappe le Maroc depuis six ans, engendrant une baisse sans précédent du niveau des ressources hydriques, des réservoirs et des nappes phréatiques.
Les ressources hydriques se limitent, en effet, à 600 millions mètres cubes (m3), en repli de 83% par rapport à la moyenne, a précisé le ministre. La moyenne des ressources hydriques des barrages est passée de 18 milliards de m3, durant la période 1945-1980, à 14 milliards de m3 après 1980, et à moins de 5 milliards de m3 au cours des 5 dernières années. Un constat inquiétant, souligne notre interlocuteur, qui relève que certains grands barrages, tels ceux d’Al Massira et de Bin El-Ouidane, sont pratiquement à sec. Une situation qui peut se traduire par des répercussions négatives pas seulement sur cette campagne agricole, mais également sur la prochaine.
Le «Bour» défavorable dans un état lamentable
La saison agricole 2023-2024 est marquée par des précipitations précoces et quasi généralisées durant le mois d’octobre, tandis que le mois de novembre a été pratiquement sec. En dépit d’un retour des pluies début décembre, le cumul pluviométrique au 31 décembre 2023 demeure déficitaire de 45,6% par rapport à la campagne précédente, et de 42% comparativement à la moyenne des cinq dernières années. Autant dire que «le premier rendez-vous de la saison agricole a été définitivement raté», martèle cet agriculteur, rappelant que les pluies d’automne sont très importantes pour la levée de la plante et sa constitution. «Le cycle de la plantation est perturbé par ce mauvais départ. C’est comme si on tombe au tout début d’une course. La question qui se pose alors, c’est comment la finir ?», illustre-t-il.
Il indique aussi que la céréaliculture est pratiquée uniquement dans le «Bour», zone de culture non irriguée qui dépend complètement des précipitations pluviales. Il signale que le «Bour» se divise en deux catégories: favorable et défavorable. Le Bour favorable se situe notamment dans la moitié nord du pays, à partir de Casablanca, où se trouve le «grenier du Maroc». Dans cette zone, l’espoir reste permis. En revanche, le Bour défavorable (Chaouia, Abda…) «est dans un état lamentable», déplore l’agriculteur. «Dans cette zone, la situation sera de plus en plus inquiétante à mesure que l’absence des pluies persiste. Et même les pluies de mars ne serviront pas à grand-chose pour les céréales», prévient-il.
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En parallèle, ou plutôt en corollaire, les superficies cultivées accusent également une nette baisse. Même les grands périmètres d’irrigation ne sont pas épargnés, puisque les surfaces agricoles n’y dépassent pas actuellement 400.000 hectares, sur un total de 750.000 hectares, soit une baisse de 44%, comme l’avait indiqué le ministre de l’Agriculture. En cause: la contraction des ressources hydriques, qui impacte la dotation d’eau allouée aux grands périmètres irrigués.
Qu’en est-il des cultures printanières? «C’est encore trop tôt pour en parler. Mais l’espoir est toujours là. Il dépend des pluies du printemps», indique notre interlocuteur, soulignant l’importance de ces cultures de substitution (oléagineuses, légumineuses…), puisqu’une bonne partie des besoins du marché national est importée. La sécheresse a également impacté lourdement le secteur de l’élevage qui a pâti de la fermeture d’un nombre important de fermes.
Globalement, cette situation met à rude épreuve les agriculteurs qui voient leurs revenus baisser drastiquement, à tel point que certains d’entre eux ont du mal à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, note notre agriculteur. Ce qui met encore l’importance de l’élargissement de l’assurance agricole, souligne-t-il. Ce dernier se montre toutefois rassurant quant à l’approvisionnement du marché marocain en produits agricoles. «La machine des opérateurs est bien rodée. Quand on fait appel à eux pour importer des produits dont le marché local a besoin, ils sont là», conclut-il.