Avec l’accélération de la généralisation de l’AMO, le Maroc s’engage dans l’une des réformes sociales les plus ambitieuses de son histoire. En deux ans, la couverture santé est passée de 60% de la population en 2020 à 86,5% en 2024. Si cette avancée est remarquable, elle soulève néanmoins des interrogations quant à la pérennité financière du système et son efficacité à long terme, alerte Finances News Hebdo. L’universalisation de l’AMO représente un défi budgétaire majeur, dans un contexte marqué par l’augmentation des coûts de la santé et le vieillissement de la population.
«Passer de 11 millions de bénéficiaires en 2021 à un objectif de 36,8 millions aujourd’hui constitue un véritable défi en matière de financement des soins et des médicaments, d’autant plus que la prévalence des maladies chroniques ne cesse de croître», explique Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique et analyste des marchés de la santé, cité par l’hebdomadaire.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a tiré la sonnette d’alarme dans son rapport de novembre 2024: environ 60% des bénéficiaires de l’AMO renoncent à leurs traitements pour des raisons financières. Lors du 9ᵉ Forum parlementaire international sur la justice sociale, Ahmed Reda Chami, président du CESE, a souligné la hausse des frais à la charge des assurés, qui atteignent parfois 50% des dépenses totales de santé. Cette situation contraint certains patients à renoncer à des soins essentiels.
Autre problématique soulevée: une part importante des dépenses de l’AMO est absorbée par les établissements de santé privés, entraînant une flambée des coûts, parfois multipliés par cinq en l’absence de protocoles de soins obligatoires. «De nombreux patients n’ont tout simplement pas les moyens d’avancer les frais médicaux en attendant leur remboursement», souligne Belaïche. Ce système de remboursement a posteriori pénalise notamment les classes moyennes et les travailleurs indépendants, révélant les limites du modèle actuel.
L’AMO repose aujourd’hui sur des bases financières fragiles. Si certains régimes d’assurance ont atteint l’équilibre en 2023, d’autres affichent encore des déficits préoccupants. L’AMO des travailleurs indépendants enregistre un déficit technique de 172%, tandis que celle du secteur public affiche un déficit de 121%. Ces déséquilibres compromettent la capacité du système à assurer une indemnisation optimale et un accès équitable aux soins pour tous les bénéficiaires.
Face à ces défis, des mesures doivent être prises pour garantir la viabilité du système. Abdelmajid Belaïche insiste sur deux leviers majeurs: la maîtrise des coûts et la mobilisation de nouvelles ressources.
«L’équilibre entre l’universalisation des soins et la soutenabilité financière passe par un meilleur contrôle des coûts médicaux et pharmaceutiques afin de réduire la charge pesant sur les patients», explique-t-il. Il préconise également un élargissement de l’assiette fiscale et l’intégration du secteur informel, qui représente une part significative de l’économie mais ne contribue ni aux impôts ni aux cotisations sociales. Cette inclusion permettrait d’accroître les ressources du système tout en offrant une couverture sociale aux travailleurs non déclarés.
Par ailleurs, la diversification des sources de financement et une gestion plus efficiente des dépenses liées aux services sociaux s’imposent comme des solutions incontournables. L’accès équitable aux soins, notamment en milieu rural, reste un enjeu clé pour éviter une fracture territoriale. Enfin, la digitalisation du système permettrait une meilleure identification des bénéficiaires et une gestion plus transparente des remboursements.
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