Le temps est au concret pour le développement de l’hydrogène vert au Maroc. L’information est passée un peu sous les radars, mais si l’on devait résumer la visite à Rabat, mercredi 21 juin 2023 du chef, du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, à un seul objectif, c’est bien celui d’amorcer un partenariat qui s’annonce durable, et c’est peu dire, entre le Maroc et les Pays-Bas sur ce registre. Pour preuve, la signature, séance tenante, d’un mémorandum d’entente et d’une convention de partenariat portant pour l’essentiel sur ce volet.
Quelque 305 millions d’euros comme mise de départ
Côté marocain, les deux accords ont été signés respectivement par la ministre de l’Economie et des finances Nadia Fettah et la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali. A lui seul, le mémorandum d’entente porte sur une enveloppe globale de 305 millions d’euros. Finalité: identifier et développer, ensemble, des projets d’infrastructures publiques dans les secteurs prioritaires, en tête desquels les énergies renouvelables.
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Interrogée par Le360 à cette occasion, Leila Benali n’est pas peu fière. «Les discussions entre nos deux pays ont commencé depuis Glasgow il y a de cela deux ans (lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques -COP26- qui s’est tenue du 31 octobre au 12 novembre 2021, NDLR). Nous avons ainsi entamé une réflexion commune, partant des atouts de nos pays, plateformes entre l’Afrique, l’Europe et l’Atlantique. Aujourd’hui, nous arrivons à la conclusion et au partage du savoir-faire, de la technologie et du capital humain. Le travail commence et nous aurons à concrétiser en arrivant à des projets d’investissement», affirme-t-elle, promettant une feuille de route «en temps opportun».
Cette signature est intervenue en clôture d’une table ronde sur l’hydrogène vert, organisée en marge de cette visite, «rencontre qui a mis en lumière les potentiels économique et environnemental de l’hydrogène vert et consacre le statut continental et international du Royaume du Maroc en matière de développement des énergies renouvelables», nous précise une source proche du dossier. Le marché mondial de l’hydrogène vert est estimé à 280 milliards de dollars de recettes en 2050. Et le Maroc devrait en capter autour de 4%. C’est dire!
On apprendra également qu’un forum d’affaires entre opérateurs économiques des deux pays sera également organisé, afin de prospecter les opportunités d’investissement existantes dans des secteurs prioritaires, comme les énergies renouvelables. Autant dire que les choses avancent à grande vitesse.
90 milliards de dirhams d’investissements à l’horizon 2030
Le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch a profité de l’occasion pour annoncer que la stratégie nationale de l’hydrogène vert qui sera adoptée prochainement, conformément aux Hautes orientations du roi Mohammed VI, sera couplée à la nouvelle charte de l’investissement et au Fonds Mohammed VI pour l’investissement, cette stratégie devrait offrir l’environnement idoine pour le plein essor du secteur.
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On s’en souvient, le 22 novembre 2022, le Souverain a présidé une réunion de travail consacrée au développement des énergies renouvelables et aux nouvelles perspectives dans la filière de l’hydrogène vert. Le Roi y avait donné ses instructions pour la mise en place d’une «Offre Maroc» opérationnelle et incitative, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière de l’hydrogène vert au Maroc.
L’investissement est actuellement l’enjeu premier. Le besoin cumulé en la matière est de 90 milliards de dirhams à l’horizon de 2030 et 760 milliards de dirhams à l’horizon de 2050. «Au vu de l’engouement récent pour l’hydrogène et pour le potentiel marocain, ce premier objectif semble atteignable», affirme l’économiste Mohammed Jadri.
Le rythme s’accélère. Pour le Maroc, les Pays-Bas marchent sur les pas d’autres pays, comme l’Allemagne, mais en accélérant la cadence. Dès l’annonce de la nouvelle stratégie énergétique marocaine en 2008, l’Allemagne s’est en effet greffée dessus et dès 2012, les deux pays signent un Partenariat énergétique maroco-allemand (PAREMA). Mais ce n’est qu’en 2021, et à la faveur de l’arrivée au pouvoir du nouveau chancelier allemand Olaf Scholz et d’un retour à la normale des relations diplomatiques entre Rabat et Berlin, un temps tendues à cause de la question du Sahara marocain, qu’un sérieux coup d’accélérateur est donné à la coopération entre les deux pays. Berlin a ainsi intégré le Maroc comme destination prioritaire de son programme H2Uppp, actif dans les projets d’hydrogène dans les pays en développement et émergents à travers une coopération sur site.
Des projets concrets voient également le jour. Le premier est d’ailleurs fruit de la coopération entre le Maroc et l’Allemagne et il porte sur la réalisation d’une centrale hybride photovoltaïque et éolienne pour alimenter une usine d’hydrogène vert d’une capacité d’électrolyse d’environ 100 MW. La mise en service du site est prévue entre 2024 et 2025.
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Autre projet, et le plus important à l’œuvre actuellement, celui du groupe l’OCP. D’après Reuters, le leader mondial de la production de phosphates prévoit d’investir 70 milliards de dirhams dans une future usine de production d’ammoniac à partir de l’hydrogène vert à Tarfaya. Cette nouvelle entité pourra produire 200.000 tonnes d’ammoniac d’ici 2026, une capacité qui devrait atteindre 1 million de tonnes en 2027, puis 3 millions de tonnes à l’horizon 2032. Cet investissement entre dans le cadre du programme de développement (2023-2027) du groupe OCP, présenté au roi Mohammed VI en décembre 2022 et portant sur une enveloppe de 130 milliards de dirhams.
Transport, principal défi
CWP Global, leader américain en projets d’énergies renouvelables, développe actuellement un projet de production de 15 gigawatts d’hydrogène à Guelmim-Oued Noun. Mercredi 14 juin. CWP Global annonçait dans un communiqué conjoint l’ouverture de son capital à Copenhagen Infrastructure Partners (CIP), un des plus grands gestionnaires de fonds d’investissement dans les énergies renouvelables dans le monde. Ce dernier a acquis une participation de 26,67% dans le portefeuille de développement de plateformes d’hydrogène vert du groupe américain, par l’entremise de son fonds de transition énergétique.
S’agissant de l’export vers l’Europe, le grand challenge sera celui du transport. Le Gazoduc Maghreb-Europe (GME) s’avère le choix de la raison, mais il faudra l’adapter, notamment au niveau de l’étanchéité, selon une étude réalisée par JESA, filiale ingénierie de l’OCP. A partir de là, le dispositif pourra être raccordé au futur réseau H2Med reliant la péninsule ibérique à la France, l’Allemagne puis le Nord de l’Europe devrant être opérationnel en 2030. Pour l’heure, cette option reste la plus plausible, même si au rythme où va la recherche et le développement dans ce secteur, nous ne sommes pas à l’abri d’une avancée technologique.
Le 4 mai dernier, CWP Global a signé un accord avec le groupe allemand Hydrogenious, spécialisé dans le transport d’hydrogène organique liquide (LOHC), pour la réalisation d’une étude de faisabilité qui explorera une chaine de transport de 500 tonnes d’H2 par jour du Maroc vers l’Europe. Autant dire que tout est encore possible et que ce sont les considérations de coût qui feront la différence.